Mattia est un jeune surdoué, passionné de mathématiques. Déjà isolé par son état, la disparition de sa soeur jumelle n'a rien fait pour arranger son isolement. Au lycée, il rencontre Alice. Comme lui, elle vit dans une solitude voulue et traumatisante à la fois. Très tôt anorexique et handicapée de la jambe gauche suite à un accident de ski, son intégration à l'école parmi les enfants de son âge n'est pas des plus simples. Surtout quand on sait combien les adolescents peuvent être violents voire pervers face aux différences.
Mattia pensait qu’Alice et lui étaient deux nombres premiers jumeaux, isolés et perdus, proches mais pas assez pour se frôler vraiment ?
Selon lui, ils sont le parfait exemple de la théorie des nombres premiers, ceux qui sont divisibles que par un et par eux-mêmes. Des solitaires qui ne se laissent approchés que très rarement. Pourtant, quelque chose relie Mattia et Alice.
Paolo Giordano nous décrit en parallèle l'histoire de ces deux solitaires qui se comprennent sans mots dire. Ensemble, ils finissent par grandir sans pour autant réussir à s'intégrer dans ce monde adulte qui fait tant peur, dans cette normalité qui pourrait être réconfortante. Cahin-caha, ils font avec leurs différences. Ils créent leur propre monde. L'un se plonge dans les mathématiques, l'autre dans la photo. De temps en temps, leurs terreurs les font agir contre eux-mêmes, blesser leur corps pour apaiser leurs tourments. La vie va faire qu'ils s'éloignent l'un de l'autre pour se retrouver plus tard sans que rien ne soit changé entre eux.
Car Mattia et elle étaient unis par un fil élastique et invisible, enseveli sous un fatras insignifiant, un fil qui ne pouvait exister qu'entre deux individus de leur espèce, deux individus qui avaient reconnu leur solitude dans celle de l'autre ?
Cette histoire aurait aisément pu tomber dans le mélodramatique, couler sous le poids du pathos à pleine dose. Et il y aurait de quoi ! Mais l'auteur a su intelligemment naviguer entre ces écueils. Son écriture assez froide, on pourrait dire presque mathématique, clinique, laisse toutefois passer toutes les émotions sans les plomber. Il en reste une belle histoire d'amitié, une histoire sur la difficulté de vivre sa différence, de très beaux personnages auxquels on s'attache aisément.
Dédale
Extrait :
Les autres furent les premiers à remarquer ce qu'Alice et Mattia ne comprirent qu'au bout de nombreuses années. Ils pénétrèrent dans la pièce main dans la main. Ils ne souriaient pas, leurs regards suivaient des trajectoires différentes, mais on aurait dit que leurs corps coulaient l'un dans l'autre à travers leurs bras et leurs doigts joints.
Le contraste prononcé que formaient les cheveux clairs d'Alice autour de son visage trop pâle et les cheveux foncés de Mattia retombant sur ses yeux noirs s'anéantissaient dans cet arc subtil. Il y avait entre eux un espace commun dont les confins n'étaient pas bien tracés, où rien ne semblait manquer et où l'air paraissait inerte, tranquille.
Alice précédait Mattia d'un pas, dont la faible traction équilibrait sa démarche, effaçant les imperfections de la jambe défectueuse. Le garçon se laissait transporter, et ses pieds ne produisaient pas de bruit sur le carrelage. Ses cicatrices étaient dissimules et protégées par sa main à elle. Ils s'immobilisèrent sur le seuil de la cuisine, loin du groupe que les quatre filles et Denis constituaient. Ils se demandèrent ce qui se passait. Ils avaient l'air éberlués, comme s'ils venaient d'un endroit lointain qu'ils étaient seuls à connaître.
La solitude des nombres premiers de Paolo Giordano - Éditions Seuil - 329 pages
Commentaires
vendredi 19 mars 2010 à 09h21
Je vois ce livre tout à fait comme toi...
vendredi 19 mars 2010 à 12h11
Je serai le 3ème. 3, un nombre premier!
samedi 20 mars 2010 à 17h37
C'est étrange, mais lorsque j'ai lu ce roman, je pensais qu'il ne m'en resterait pas grand chose au bout de quelques semaines ou quelques mois ... Et puis, tu le présentes et en te lisant, je me rends compte qu'il est bien ancré à l'esprit, au contraire ! J'avais aimé ce roman parce que l'auteur prenait beaucoup de distance avec ses personnages et leurs blessures intérieures. Et je crois que c'est aussi pour cela que "La solitude des nombres premiers" m'est resté à l'esprit ... Une bonne lecture, au final !
lundi 22 mars 2010 à 07h58
Merci à vous pour vos retours de lecture.
Je suis d'accord avec toi, Nanne. L'auteur ne force pas notre compassion ou ne cherche pas à nous apitoyer. D'ailleurs Mattia et Alice n'auraient pas apprécié.
mercredi 14 avril 2010 à 09h42
Eh bien, je l'ai dans ma librairie, je vais le lire, vous m'avez donné envie !
mercredi 14 avril 2010 à 20h12
Tant mieux, Zagon. Vous nous en direz des nouvelles
jeudi 29 avril 2010 à 15h10
Ce livre est un bijou.Sans aucun voyeurisme l'auteur raconte l' histoire à 2 voix de ces 2 ados puis adultes que Mattia décrit comme 2 nombres premiers jumeaux.Ce texte m'a enchantée .je l'ai dévoré et le met dans mes coups de coeurs de cette année.
vendredi 14 mai 2010 à 10h45
Merci Sylvaine pour ce commentaire plein d'enthousiasme
dimanche 13 juin 2010 à 09h06
Roman qui commence très fort, par une scène très inhabituelle aux sports d'hiver, ensuite, on ne peut pas lâcher le roman. Ce roman vraiment ne peut se lire que d'une traite ! On s'attache instantanément aux deux personnages principaux et on veut savoir ce qui leur arrivera. Le roman couvre un grand nombre d'années, mais on peut toujours ajouter un fin personnelle. C'est bien, un roman écrit non pas par un littéraire mais par un scientifique....J'attends les prochains romans avec impatience....
samedi 26 juin 2010 à 09h51
Réponse un peu tardive de ma part, mais merci Jojo pour ce témoignage.
mercredi 30 juin 2010 à 23h39
C'est vrai que le roman se lit d'une traite,dès l'incipit qui est très accrocheur, on ne peut plus le lâcher. Ces deux derniers jours j'ai passé mes soirées à dévorer ce roman, je viens tout juste de le terminer. Mais je dois avouer que malgré cette curiosité qui m'a tenue en haleine jusqu'à la dernière page, j'ai été très déçue à la fin. En fait, je n'ai pas du tout interprété le livre de la même façon, pour moi au contraire, il n'y a plus rien entre eux à la fin, ou si peu de sentiments. Je trouve cette phrase assez explicite: "Mattia songea à un potentiel qui s'était tari, aux lignes de champ invisibles qui les unissaient autrefois à travers l'air et qui n'existaient plus." Même physiquement ils ne se reconnaissent plus. Il n'y a plus cette alchimie entre eux, on se demande si elle a jamais existé. Parce qu'au final les moments du roman où leur complicité est "palpable" restent très rares. Il me semble qu'il y a non seulement un détachement de l'auteur vis-à-vis de ses personnages, mais aussi un grand détachement entre les personnages eux-mêmes, et ces mondes de mutisme qui séparent définitivement Alice et Mattia, Mattia et ses parents, Alice et les siens,etc., sont autant de gouffres qui rendent leur vie très sombre et leur histoire vide. Je ne sais pas comment expliquer cette frustration que j'ai ressenti à cette description, comme vous dites si bien clinique, voire "mathématique" des relations, des pensées et des sentiments des personnages. Peut-être parce que je m'attendais à une analyse plus élaborée de leurs sentiments, une évolution de l'amitié à l'amour, j'esperais à chaque page que la glace se brise, du moins un peu. J'aurais aimé voir Mattia sortir de son isolement et aufinal il n'en est rien. Ce sont deux solitudes qui se heurtent, et se repoussent,et repoussent tout autour d'elles. C'est un roman très sombre, trop sombre à mon goût, un peu inexplicable, un peu trop scientifique. Un peu trop cliché aussi. "Je te veux mais je te quitte" m'a terriblement fait penser au film "Jeux d'enfants". Surtout la scène finale, quand ils se retrouvent 9 ans après et qu'il ressent avec elle cette montée d'adrenaline qu'il ne ressent jamais avec personne d'autre. Beaucoup d'autres aspects m'ont fait penser à ce film, le mariage de Fabio et Alice, un mariage "parfait" mais sans amour de sa part à elle, se retrouve aussi dans le film. Bon je ne dis pas du tout que c'est du plagiat, absolument pas, simplement que le roman m'a évoqué énormément de déjà-vus (surtout les scènes de leur adolescence qui me font abominablement penser au cinéma américain). Pour conclure je dirais que mon jugement repose surtout sur le style très froid de l'auteur, qu'on aime ou qu'on déteste. J'ai été un peu abusée aussi par la quatrième de couverture qui proclamait "le lien qui les unit est indestructible": moui, jusqu'à ce qu'ils se revoient pour la dernière fois. Il n'y a ensuite plus rien, plus rien que des journées banales de mathématicien pour Mattia,( peut-être une union sans interêt avec Nadia), plus rien qu'un bienheureuse solitude pour Alice, qui mourra sans doute de sa maladie assez rapidement. Même leur denière rencontre m'a laissée sur ma fin, il n'y a plus rien que des maladresses et du vide entre eux, ils sont (de nouveau) deux étrangers.
mercredi 7 juillet 2010 à 20h58
Ciel, en voilà un commentaire détaillé, argumenté !! Merci Lectrice de venir ainsi ajouter aux ressentis déjà déposés ici.
jeudi 22 juillet 2010 à 09h53
je lis très souvent des romans d'auteurs et d'auteures italiens et chaque fois je suis surpris par la qualité du récit, le style et les histoires toujours inattendues. mais ce roman de giordano est le meilleur de tous. je l'ai acheté par hasard, je l'ai mis de côté pendant un certain temps puis quand je m'y suis plongé je n'ai pas pu m'en défaire avant la dernière page. que du bonheur!!
vendredi 30 juillet 2010 à 22h29
J'ai également expérimenté le même genre de "frustration" que lectrice, en espérant que les personnages prennent les occasions qui se tendaient à eux, et en sentant une sorte de vide vers la fin. Mais c'est justement ce lien "indestructible"(qui ne l'est pas, merci la 4eme de couverture) qui les en empêchaient, et la fin, bien qu'elle ne m'ait pas vraiment plu, est il me semble une fin "heureuse", où les deux personnages s'affranchissent enfin de ce lien, ce qui laisse envisager une fin à cette solitude. Ce qui me déçoit un peu, c'est que ce lien est finalement vu comme une malédiction(vu que ca destruction est narrée de manière relativement positive), alors que c'est sur celui-ci qu'est basé tout le livre, et auquel on s'attache malgré tout. J'ai vraiment cru qu'ils finiraient ensemble après leur "mariage"(qui en est un réellement, du point de vue symbolique je trouve), et finalement, et bien non...
Bref, si quelqu'un dispose d'un lien vers une analyse approfondie du livre, je lui en serait reconnaissant, afin de me faire un avis un peu plus poussé sur ce livre:)
vendredi 26 novembre 2010 à 13h46
Magnifique! Les personnages de Mattia et d'Alice, ces deux adolescents blessés par la vie dans leur enfance, sont attachants. On a envie de lire ce livre d'une traite.
dimanche 5 décembre 2010 à 16h01
Merci pour vos commentaires qui font revivre ce billet de lecture.
lundi 10 janvier 2011 à 16h51
Décidément, je ne lis que des notes enthousiastes sur ce titre ! Je dois être la seule à âtre restée insensible à sa magie.
dimanche 16 janvier 2011 à 17h41
Céline, et quand bien même vous n'auriez pas aimé, vous en avez parfaitement le droit. Ce serait d'une tristesse sans nom si tout le monde aimait la même littérature.
vendredi 15 avril 2011 à 17h12
j'ai lu ce livre l'année dernière. il m'a beaucoup plus. c'est vrai que l'auteur est assez froid dans ses descriptions mais c'est original. ça change de ces livres qui ont pour but de faire pleurer du début à la fin ! la fin est surprenante, c'est vrai. moi aussi je m'attendais à ce qu'ils finissent ensemble, mais au fond, l'histoire est plus réaliste comme ça, car, soyons franc, dans la vie beaucoup de personnes manque des occasions d'être heureux à deux.
dimanche 1 mai 2011 à 21h22
Je viens de terminer ce livre et il ne m'a absolument pas plu. Il y a trop de "trop". Trop de froideur, trop de clichés, trop d'invraisemblances, trop de malheur, trop de distance, trop de détachement. Pour moi, l'auteur n'a pas réussi à percer le niveau émotionnel des personnages, et malgré des descriptions détaillées tout le récit reste superficiel. Je pense aussi que j'aurais préféré qu'il se concentre sur le personnage de Mattia exclusivement et en l'explorant davantage. Alice aurait pu prendre deuxième rôle, et cela à travers le regard de Mattia. Parmi les personnages qui gravitent autour, celui de Denis est superflu, il n'apporte rien à l'histoire. Le titre était très prometteur mais j'ai été fortement déçue. Et j'espère que maintenant Céline se sentira un peu moins seule.