L'homme, c'est Cam-ngaï.
Il est cornac. Ami et maître d'un éléphant. Mais pas n'importe quel éléphant.
Plaïssoute et lui ont grandi ensemble jusqu'à ce le père de Cam-ngaï le vende, brisant ainsi le rêve de son fils.
Par la suite, l'homme a fait plusieurs boulots, toujours pour se rapprocher de Plaïssoute, jusqu'à finalement le retrouver.
Et puis il y a la vie, la femme, l'enfant, les amis, le Vieux et ses éléphants.
L'homme, c'est Cam-ngaï, et ceci est le récit de sa vie.

Je découvre avec ce roman un auteur qui me plaît beaucoup, et un visage de la Thaïlande loin de ce que nous montre habituellement les médias. Ici, pas de drogue ni de sexe, pas d'enfants en danger ou de villes à la population interlope. Nous sommes au coeur de la jungle et les hommes s'épaulent pour survivre dans une nature hostile qu'ils domptent petit à petit mais qui les apprivoise aussi en retour.

En réalité, on ne sait pas grand chose du contexte dans lequel on évolue. Il n'y a pas de dates, pas de fond historique. Un peu de technologie. On est sensiblement à l'époque où le roman a été écrit mais cela n'a pas d'importance. D'ailleurs, le temps en lui-même est de peu d'importance dans la manière de raconter de l'auteur.
J'ai été perdu au début par ce style sobre, dépouillé, sans marqueur temporel, qui passe du présent au passé en une phrase. Cam-ngaï raconte son histoire en la vivant en parallèle. Chaque élément du présent est prétexte à raconter son passé et donne au lecteur une approche particulière des situations.

Par le regard de Cam-ngaï, nous découvrons le quotidien difficile des villageois, le dur labeur des hommes et des bêtes, mais également le plaisir simple de savourer la vie, de la croquer à pleine dents. Le Carpe Diem trouve ici une magnifique illustration.
Autre élément interpellant, la frontière infranchissable existant entre les villes et les campagnes. Qu'il est mal vu de quitter la ville pour la jungle. Pourtant c'est ce que fait Madjane en épousant Cam-ngaï. Et toutes ses amies se détournent d'elle et se moquent d'elle.

Le roman ne raconte pas l'histoire d'un homme, mais plutôt celle d'un pays qui se vit au travers des liens entre ceux qui l'habitent. Le récit est rempli des pensées de Cam-ngaï sur la vie, la mort, sa condition, ses métiers. Lui qui passe de la sculpture à la taxidermie pour devenir cornac peut réfléchir l'esprit tourné ailleurs tandis que ses mains sont occupées.

L'ouvrage contient une postface rédigée par le traducteur, narrant sa première rencontre avec Nikom Rayawa. Il y donne des indications précieuses à la compréhension du livre en lui-même ainsi qu'une brève biographie de l'auteur qui est passionnante.
Bien plus que le simple récit d'une amitié hors du commun entre un homme et un éléphant, j'ai trouvé dans ce roman un hymne à la vie. 

C'est pour tout ça que je le recommande chaudement.

Petite précision : cet ouvrage à reçu le prestigieux South East Asia Writer Award à sa sortir en 1984.

Cœurdechene

Extrait :

A vrai dire, Palïssoute était souvent d'humeur folâtre avec les gens. A l'occasion d'une parade d'ordination, on le décora de la trompe à la queue d'une bigarrure insensée de papier crépon, de guirlandes, de carrés de soie et de tatouages à la craie. Dans un fracas de cymbales, femmes et hommes outrageusement fardés dansouillaient en une farandole confuse. Quelqu'un apporta un seau plein d'alcool de riz, le déposa devant Plaïssoute qui le but d'un trait et se mit à branler du chef et à se dandiner comme tous les bipèdes autour de lui. Lorsqu'on eut conduit tous les jeunes gens au temple, Boun Hâm s'empara d'une bouteille de whisky et la porta à sa bouche en dansant sur place. Puis il entreprit de montrer à ses copains comment monter sur un éléphant. A son commandement, Plaïssoute le saisit à trompe le corps et le jeta sur son dos, où il se retrouva impeccablement assis. L'éléphant, qui semblait s'amuser autant que les spectateurs, recommença. La troisième, les gens ne faisaient plus guère attention. Ils virent tout juste un corps voler par-dessus l'arrière-train de l'éléphant et atterrir à grand fracas dans le buisson épineux d'un jujubier.
   - Encore heureux qu'il ne soit pas tombé la tête la première, dirent les témoins.
   - Ce salaud de Soute est soûl comme une bufflesse, grommela Boun Hâm à l'adresse de ses copains tout en s'arrachant péniblement les épines une à une.

L'empailleur de rêves
L'Empailleur de Rêves de Nikom Rayawa - Editions de l'Aube - 144 pages.