Pierre Mouron, 17 ans, n'est plus que la moitié de lui-même depuis que son frère jumeau, Éric, est mort dans un accident de voiture il y a 7 ans. Pour combler le manque, Pierre a grossi, trop, mais cela n'a rien changé. La douleur est tellement insupportable qu'il a programmé sa propre mort pour les dix ans de la disparition d'Éric. En attendant, il court à perdre haleine pour épuiser son corps et se livre dans son journal intime.
C'est ce journal qu'Anne Percin nous invite à lire : onze mois de la vie de Pierre, entre douleur et renaissance. Le récit commence sous la touffeur de l'été 1999 à Strasbourg. Pierre est un adolescent isolé, moqué, aussi mal dans son corps que dans sa tête. Dès les premières pages, le récit est dérangeant, troublant : la violence qui transparaît à travers les mots de Pierre met le lecteur dans une position très inconfortable ; on est à la fois accroché par la force du texte et troublé par la souffrance extrême de Pierre, souffrance dans laquelle il semble se complaire, se noyer. Le premier cahier - le journal de Pierre se divise en 3 cahiers - baigne dans une noirceur sordide et l'on se demande si Anne Percin va effectivement nous donner à voir la mort programmée d'un adolescent.
Et puis, l'automne arrive et Pierre commence à diversifier ces centres d'intérêt ; ému au larmes par la musique de Beethoven, il décide d'apprendre le violon pour retourner les gens, exprimer « l'énervement de la vie ». C'est au conservatoire de musique qu'il fera la connaissance fortuite de Raphaël, un photographe parisien. C'est aussi à cette période, avec la rentrée des classes, qu'il découvre la philosophie et noue pour la première fois des liens avec les filles de sa classe. Doucement, le texte se fait moins âpre, et derrière le mal être on sent poindre l'espoir, l'envie de vivre. Pourtant, Pierre reste écartelé, incapable d'aimer et de s'aimer, et l'on comprend qu'au-delà de la mort de son frère, il y a un malaise plus profond, plus charnel. Le rapport au corps est d'ailleurs omniprésent et Anne Percin retranscrit avec beaucoup de subtilité cette mutation de l'enfance à l'âge adulte, cette mue du homard (pour reprendre l'expression de Françoise Dolto) où l'adolescent nu, sans carapace, doit trouver son propre chemin. Celui de Pierre n'est sans doute pas le plus facile à admettre et assumer, mais c'est ainsi qu'il est né et s'il ne veut pas mourir, il lui faudra l'accepter.
Quand commence le troisième cahier, au lendemain du réveillon de la Saint Sylvestre, quelque chose a changé. L'écriture est soudain plus légère, plus insouciante et pourtant Pierre entame sans doute l'étape la plus délicate de sa mutation… Anne Percin, une fois de plus, bouscule son lecteur, et si elle le fait de manière moins frontale, ce sera peut-être paradoxalement cette dernière partie qui dérangera le plus ses jeunes lecteurs.
J'ai lu ce roman d'une traite, oubliant totalement qu'il était destiné aux adolescents et soufflée par la densité du texte. Anne Percin aborde ici beaucoup de problématiques de l'adolescence, mais il m'est impossible de vous expliciter lesquelles, imbriquées qu'elles sont les unes dans les autres, sans vous dévoiler des éléments de l'intrigue. Je peux vous dire par contre à quel point j'ai trouvé cela juste ; à quel point Anne Percin a réussi à retrouver ce tourbillon de l'adolescence entre exaltation et profonde dépression ; comment certaines scènes sont bouleversantes et percutantes ; vous dire aussi qu'en refermant le livre on est longtemps hanté par le personnage de Pierre. Mais j'ai aussi conscience, qu'en tant qu'adulte, je ne suis plus dans ce fameux tourbillon. J'ai donc pu aborder cette histoire avec le recul nécessaire. Je ne peux alors m'empêcher de m'interroger sur la façon dont ce roman peut être perçu par des adolescents : parviendront-ils à dépasser la noirceur de l'écriture ? Ne seront-ils pas profondément dérangés par les thématiques traitées dans ce récit ? Peut-on, quand on est soi-même dans la tourmente, lire cette histoire sereinement ? Des questions pour lesquelles je n'ai pas de réponses et je serai donc bien en peine d'indiquer à quel âge on peut se plonger dans ce récit. L'éditeur conseille ce roman à partir de 15 ans, et peut-être faut-il faire confiance aux adolescents eux-mêmes qui, si le texte les dérange trop, abandonneront leur lecture très rapidement pour passer à autre chose.
(D'autres avis dans la blogosphère : Joannic Arnoi, Gawou et Laure)
Du même auteur : Comment (bien) rater ses vacances, Né sur X, Le premier été, Comment (bien) gérer sa love story.
Laurence
Extrait :
Mon corps est infiniment plus fort que moi. C'est la jeunesse qui fait sa force. Mon corps ne peut pas s'entendre avec mon esprit, qui est vieux, ridé, fatigué. J'ai cent ans, j'ai dix-sept ans en même temps. Parfois le vieillard s'endort et je n'ai plus de prise sur mon corps. Gonflé du désir d'aimer, d'être aimé, je le caresse, de ce caresse que je n'ai jamais eues. Après j'ai honte. Honte de cette enveloppe de chair à qui ne j'ai rien demandé, et qui n'arrête pas de supplier qu'on la touche. Parfois j'ai l'impression que tout mon corps hurle et crie de famine, alors que suis obligé de lui donner une petite part de ce qu'il réclame. Je ne peux pas lui en fournir plus, et je n'ose pas chercher ailleurs. Sûrement je ne sais pas m'y prendre.
D'abord je manque de pratique, mais ce n'est pas l'essentiel. Je ne sais pas communiquer, je ne sais pas anticiper. Éric s'en serait mieux tiré, lui. Il prenait toujours les devants. Moi, numéro 2, je suis, j'attends. Il ne se passe jamais rien, quand on attend.
Point de côté d'Anne Percin - Éditions Thierry Magnier - 147 pages
Commentaires
vendredi 26 mars 2010 à 16h48
Tant de récit qui ne raconte que la douleur et la souffrance. Reste peu de place pour les roses & l'amour.
jeudi 1 avril 2010 à 17h12
***** : je crois que vous faites erreur, ce roman s'il traite effectivement de la douleur n'en occulte pas pour autant l'amour, bien au contraire...
jeudi 1 avril 2010 à 21h04
**** fait beaucoup d'erreurs, y compris d'orthographe. Et sinon, non, hélas, mille fois hélas ! il n'y a pas de roses dans ce livre. De l'amour, il n'est question que de cela. Mais, de même qu'il n'y a "de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir", il n'y a pas de pire lecteur que celui qui ne veut pas lire.
jeudi 1 avril 2010 à 21h08
pa : je suis très touchée de votre commentaire ici et si vous le permettez je continuerais bien la discussion par mail