Pendant 6 mois Florence Aubenas s’est immergée dans le quotidien des précaires, endossant une autre identité pour étudier « la crise ». Sa démarche : chercher du travail, n’importe quel travail jusqu’à décrocher le sésame, le sacro saint CDI. Dans la banlieue de Caen, dans un bassin d’emploi touché par les fermetures successives d’usines rien n’est facile. Peu d’emplois. Pour les postes peu ou pas qualifiés les candidats se bousculent. Nombre de travailleurs pauvres cumulent les heures, les kilomètres et les employeurs pour arriver à boucler les fins de mois, à remplir le frigo, payer le loyer et les factures de base. Travailler plus pour gagner assez pourrait être leur devise.
Florence Aubenas, naïve, s’est imaginée que sa bonne volonté lui assurerait de trouver un emploi. Elle s’est d’abord étonnée, puis résignée, du regard blasé des « professionnels de l’emploi ». Avec un bac et une expérience professionnelle antédiluvienne son CV a peiné à accrocher. Elle a « galéré » de remplacement en remplacement, jonglé avec des horaires invivables, accumulé les kilomètres et la fatigue dans les bras, le cerveau anesthésié. Dans Le quai de Ouistreham, elle narre son expérience avec une certaine distance. Elle égrène des faits, des scènes de vie, sans juger, sans pathos, ni misérabilisme. Mais son témoignage ne s’arrête pas là. Elle a enquêté sur les coulisses, gratté derrière la façade (la déliquescence de l’économie locale, le fonctionnement de Pôle emploi et des agences d’emploi). Le coup de projecteur sur les invisibles n’en est que plus salutaire.
Extrait :
Il se regarde dans le rétroviseur, se passe les doigts dans les cheveux pour les lisser en arrière. Puis il boucle gravement sa ceinture, fait tourner la clé, tâte les vitesses une à une, en connaisseur. Au volant, Philippe parait soudain plus grand, plus carré, plus sûr de lui, comme s’il réintégrait une ancienne identité. Il commente la circulation et même sa voix sonne plus plein, on y devine le Philippe d’avant, quand il était un homme avec un travail, une voiture et tout ce qui va avec.
Le quai de Ouistreham de Florence Aubenas - Éditions de L'Olivier - 269 pages
Commentaires
vendredi 2 avril 2010 à 08h18
Florence Aubenas, naïve, s’est imaginée que sa bonne volonté lui assurerait de trouver un emploi. S'il suffisait d'être volontaire et d'avoir une expérience conséquente, nous serions nombreux à avoir des CDI en or... Ce qu'elle a découvert, beaucoup le vivent depuis bien longtemps et je m'étonne que certains français en soient encore à croire qu'il suffit de «vouloir pour pouvoir». Fait-on 750 km pour un cdd d'une semaine comme ça, juste pour le plaisir ?
vendredi 2 avril 2010 à 17h22
Je viens de finir ce livre. J'ai apprécié l'honnêteté de l'auteur. Elle n'a pas fait semblant ,elle s'est vraiment immergée dans la situation . C'est un genre d'expérience qui devrait être obligatoire pour tout futur DRH ou employeur !
Cependant c'est désespérant de voir confirmer ainsi la crise de l'emploi et les misérables palliatifs employés jusqu'ici ,difficile d'être optimiste pour nos enfants et petits enfants
vendredi 2 avril 2010 à 17h55
@ Laurence : certes le "phénomène" est courant mais il reste trop peu médiatisé. nos élites en région parisienne ont une vision faussée de la précarité. leurs mesures pour lutter contre le chômage ne sont pas adaptées. En banlieue ou en province on refuse rarement du travail (n'importe quel travail). dans les bassins sinistrés économiquement Pôle Emploi n'arrive pas à appliquer les sanctions de l'offre raisonnable d'emploi (qui consiste à sanctionner les chômeurs qui refusent successivement deux offres d'emploi qui leur correspondent). tout simplement parce que presque personne ne refuse 2 offres d'emploi ...
Florence Aubenas a un poids médiatique important. si son livre peut faire bouger les représentations de certains (qui sont encore très nombreux) est salutaire.
Soize : tout à fait d'accord avec toi. cela reste une lecture "déprimante" dans le sens où les gens qu'elle a croisé ont peu de chances de changer de situation...
vendredi 2 avril 2010 à 18h41
@Lhisbei : mais ce qui me désole c'est l'ignorance que cette élite a du terrain. Cela me rappelle un responsable de DDTEFP expliquant qu'un rmiste est forcément un type qui traîne dans la rue avec un chien et qui n'a aucun diplôme. (sic)
vendredi 2 avril 2010 à 19h20
ça me désole aussi (et ce n'est pas faute d'essayer de lui dire à cette élite) :-S
dimanche 4 avril 2010 à 15h37
Il est dans ma PAL et il me tarde de le lire!!! Au-delà de l'enquête journalistique, il paraît que la Normandie y est décrite sous un aspect plutôt morose... Pas trop, j'espère!
dimanche 4 avril 2010 à 23h45
Oui, bon d'accord avec tout ça mais est-ce que ce livre est bien écrit ?!?
dimanche 4 avril 2010 à 23h55
@ La plume et la page : la Normandie est assez morose oui. Le temps y est gris ou pluvieux. Florence Aubenas visite plus souvent les zones industrielles que les beaux quartiers.
@ Castelnau : et bien si le lecteur attend des pages littéraires avec envolées lyriques et effets de style il faut qu'il passe son chemin. L'écriture est sobre, assez distanciée pour ne pas sombrer dans le pathos, non dénuée de passages plus poétiques ou imagés. l'auteur ne force pas le trait et les passages plus descriptifs (la réalité économique de la région, le fonctionnement de certaines institutions) ne sont jamais ennuyeux. On peut dire que pour un récit non romancé, oui, c'est bien écrit. en tout cas la voix de l'auteur sonne "juste"