Bonjour à vous, Lyonel Trouillot, et tout d'abord, merci d'avoir spontanément accepté l'idée de cette interview.
Dans vos romans, Lyonel Trouillotle ton est souvent très poétique ; nous savons par ailleurs que vous écrivez de la poésie. Quelle différence faites-vous entre l’écriture du roman et celle de la poésie ? Entre l’écriture en français et celle en créole ?

D'abord, concernant l'écriture du français et celle du créole, je ne fais pas de différence. Je pense que, quelle que soit la langue, c'est à la fois un matériau et un domaine de travail. Donc le rapport est le même. Maintenant les langues n'ont pas la même histoire, ça c'est autre chose. Il n'y a pas une tradition littéraire unique en créole. On a un devoir d'invention, de transposition qui est peut être plus marqué en créole parce que l'on est habité par une mémoire littéraire. Donc au niveau de l'inter-texte, c'est autre chose.

Maintenant, s'agissant de la différence entre l'écriture du roman et de la poésie, pour moi, il n'y a d'écriture que poétique.
Le roman est un genre historique qui est peut être appelé à disparaître. Rien n'est dit. Il n'y a aucune assurance sur l'éternité du roman. Mais il y a une assurance sur l'utilisation poétique du langage, sur la dimension poétique du langage. Oui, j'écris des romans, c'est donc un genre plus ou moins fixé, dont les limites sont quand même assez floues. Et j'aime bien pervertir ou subvertir ce genre avec une charge poétique d'autant qu'il y a toujours de la polyphonie dans mes romans. Je donne la parole à des voix. Les modes d'expression de certaines de ces voix emportent forcément une dimension poétique où la dimension lyrique apparaît.

Vous vivez encore à Port-au-Prince, est-ce que vous percevez votre écriture comme très différente de ceux qui, parmi les auteurs haïtiens, vivent en Europe et en Amérique du Nord et jette un regard éloigné sur Haïti ?

Non pas du tout. Je ne pense pas que le lieu soit déterminant. Je crois que ce qui est déterminant c'est le rapport au lieu. Et je pense souvent à cette phrase d'Emile Ollivier qui disait qu'il avait quitté Haïti mais qu'Haïti ne l'avait jamais quitté. Je connais des auteurs qui vivent à Port-au-Prince et qui ont un regard très éloigné et parfois même une mésintelligence assez surprenante ou déconcertante du réel haïtien, comme je connais des auteurs haïtiens qui vivent à l'étranger depuis des années ou qui ont vécu à l'étranger pendant des années et qui ont été toujours proches du réel dans leurs capacités de le capter.
Je pense par exemple à Georges Castera qui a vécu trente ans à l'étranger mais jamais l'exil ou l'éloignement ne sont devenus des thèmes majeurs dans son œuvre poétique.

Donc je crois que c'est là qu'est la question fondamentale. C'est le rapport au lieu mais il n'y a pas de jugement à porter dans tout cela. Chacun a ses propres expériences et sa manière de se retrouver à l'intérieur de ces expériences. Je crois que si le mythe écrivain de l'intérieur, la diaspora avait une quelconque réalité, cela n'est plus le cas. Il est entretenu malheureusement par certains journalistes et par certains universitaires occidentaux qui veulent absolument séparer les esprits ou les pratiques parce que les corps sont séparés par les incidents de l'Histoire ou de la géographie. Moi je ne pense plus que cette distinction écrivain du dedans, écrivain du dehors que l'on a pu faire à un certain moment ait aucun sens aujourd'hui.

Parce que les gens viennent avec leurs racines ?

Les gens viennent avec leurs racines quand ils en ont, quand ils les perçoivent. Mais les gens peuvent vivre à l'intérieur de leur pays, à l'intérieur du village où ils sont nés tout en étant tout à fait déracinés à l'intérieur d'eux-mêmes. Donc je ne pense pas que ce soit le problème.

Comment êtes-vous entré en écriture ? Quel a été votre parcours pour être publié en France ? A-t-il été aisé ou non ?

Ces questions ne me paraissent pas vraiment liées. Comment je suis entré en écriture ? Qu'est-ce que j'en sais. Je n'ai pas souvenir de moi n'écrivant pas. C'est tout ce que je peux dire tout en ayant jamais souhaité être écrivain au sens d'en faire un métier. Ce qui me paraît d'ailleurs abominable.
Comment j'ai été publié en France ? Simplement parce que j'ai un ami écrivain qui est aussi passionné d'arts martiaux que je le suis. Nous avons souvent discuté d'arts martiaux et nous avons lié amitié. Comme je lui donnais mes livres que je publiais tranquillement en Haïti, il en a amené un exemplaire à Actes Sud et cela a plu à Marie-Catherine Vacher. Ensuite, j'ai reçu un appel d'Actes Sud.

Je dois dire une chose. Je ne sais pas comment cela se développe aujourd'hui mais au moment où moi j'écrivais quand j'étais dans ma vingtaine ou même ma trentaine, nous Haitiens vivants en Haïti, nous n'avions pas grand souci de chercher des maisons d'édition. Nous travaillions à compte d'auteur ou nous essayions de créer de petites structures locales. L'important c'était d'écrire et de mettre le texte en situation. Je n'ai pas mis de manuscrit à la poste pour l'envoyer à un éditeur.

L'amour avant que j’oublie est, à première vue le plus intimiste et le moins socio-politique de vos romans. Est-ce la vision que vous en avez ?

L'amour avant que j'oubliePas du tout ! Pas du tout le moins politique, je ne le pense pas. C'est peut être même le plus politique de tous. Au sens où la politique est tout de même la question de l'organisation de la cité dans le but de produire du bonheur et une condition acceptable pour tous. Et je crois que s'il y a un roman dans lequel j'essaye de me poser à moi-même la question et de poser au monde la question : pourquoi sommes-nous là ? Qu'est ce que nous pouvons faire de nous-même et comment agir pour arriver à ce bonheur, de production de bonheur ? c'est bien avec L'amour avant que j'oublie.

Maintenant, intimiste, ce n'est pas la question. Politique, je pense qu'en fait c'est le roman le plus manifeste. Par ce caractère de manifeste, on pense à une enveloppe un peu plus politique que les autres. Parce que Le politique, ce n'est pas La politique. Ce n'est pas le fait d'écrire ce roman. Le politique, c'est parler simplement des conditions immédiates des actions. Si vous voulez, ce n'est pas uniquement le vote aux élections et les prisonniers politiques. Cela va au-delà.

Maintenant, est-ce qu'il est intimiste, je ne sais pas. De toute manière, je n'ai pas compétence pour parler de ce qui se passerait à l'intérieur de moi et qui s'exprimerait - d'ailleurs à mon insu ! - quand j'écris.

Pouvez-vous nous dire comment vous est venu le superbe titre de L'amour avant que j'oublie ? Avez-vous trouver ce titre avant ou bien après l'écriture du roman ?

Les titres viennent toujours avant les livres. Je peux avoir une histoire dans la tête mais ce n'est pas encore un livre. Il me faut le titre. Il me faut la première phrase avant que le livre naisse. Et il me faut aussi la dernière phrase. Alors pour L'amour avant que j'oublie, j'avais l'idée depuis longtemps d'écrire une histoire du thème de l'amour avec ces vieux, mais cela ne prenait pas forme. Et j'ai un vieil ami avec qui il m'arrive de passer des soirées à discuter de tout et de rien. Et un soir on a poussé la discussion jusqu'au matin. Et à l'aube, je lui demande : mais finalement c'est quoi la vie ? Et il me dit : ah laisse-moi tranquille avec tes questions d'intello. J'insiste et il me jette comme ça : je sais pas, l'amour avant que j'oublie. Et j'ai dit : là, j'ai mon livre. D'ailleurs, je lui ai dédié.

C'est magnifique ! Moi je suis frappé par la capacité qu'ont les gens de dire de belles choses et de les laisser partir. Alors il a dit cela et moi je l'ai capté.
C'est comme si le titre avait pour moi-même une fonction révélatrice et que je voyais le livre. Je dis souvent que j'écris les livres que je vois. Comme si je voyais le chemin du livre. J'écris le livre phrase après phrase. Je ne peux pas enjamber une phrase que je juge mal écrite. Il me faut écrire une phrase, que la phrase soit à mes yeux suffisamment équilibrée et plus ou moins réussie, qu'elle puisse tenir toute seule avant que je puisse en écrire une autre. Je ne reviens pas sur les phrases que je juge terminée.

Mais cela prend du temps et c'est une question de musique aussi ?

Cela prend peu de temps. J'avoue que j'écris très vite. Le moment d'écriture est court. Il est rare que j'aie mis plus de deux mois à écrire un roman. Sans aucune tricherie, Bicentenaire c'est un mois et demi. Thérèse en mille morceaux, pareil. J'en sors un à la rentrée, j'ai mis deux mois pour l'écrire. L'amour avant que j'oublie, cela m'a peut être pris un peu plus de temps, quelques mois. Mais je laisse les livres se construire, devenir nécessaire dans ma tête avant d'arriver à les mettre sur papier. Quand j'arrive à ce moment-là, en général c'est comme si la chose était déjà bien installée quelque part dans ma tête et qu'il fallait en quelque sorte qu'elle me passe par les mains.

Il y a toujours une musique dans vos écrits. La musicalité des mots est-elle importante ?

Pour moi c'est fondamental. La langue est une musique... et les voix elles-mêmes ont leur rythme. Et comme je mets souvent les personnages en situation de parole, il importe de leur donner à chacun un rythme de parole. Dans L'amour avant que j'oublie, les histoires de l'étranger comportent non seulement le thème de l'amour mais elles ont un rythme qui imprime celui de sa voix. Alors que pour Raoul, c'est un autre rythme. L'historien parle avec un autre rythme plus blessé, plus haché. Pour moi, c'est fondamental. Justement dans Thérèse en mille morceaux, les deux Thérèse n'ont pas le même rythme de parole. Pour moi, c'est très important. J'écoute beaucoup.

Dans plusieurs de vos romans se pose le rapport Les enfants des hérosentre une violence structurelle, endémique et une violence individualisée comme dans Les enfants des héros, par exemple. Vos livres mettent aussi en scène des personnages très distincts, certains résignés devant ces violences, d’autres actifs, d’autres complices, et d’autres révoltés aussi. Avez-vous une affection particulière pour certains de vos personnages ?

Sans doute une affection particulière pour certains de mes personnages. J'aime bien ceux qui sont dans la quête. C'est à dire ceux qui sont à la fois vaincus et révoltés, ceux qui sont dans la difficulté de la construction individuelle sans être dans la haine du collectif. Ce sont les personnages que je préfère. Ce ne sont cependant pas ceux qui ont les plus belles destinées dans les histoires que je raconte. Ce sont ces personnages là qui mettent des règles parce qu'il y a une idée d'apaisement dans tout cela, une idée de bonheur. Pas seulement pour moi mais pour toi aussi, pas seulement pour l'individu, mais aussi pour l'autre. Et ces personnages là, ils me plaisent.
Cela dit, sur la violence structurelle d'un côté, la violence que subi ou que s'approprie l'individu d'un autre côté, je pense que cela n'est pas propre à Haïti. Pour moi, toutes les sociétés de classe, toutes les sociétés fondées quelque part sur l'inégalité, l'exploitation, l'exclusion, produisent une violence structurelle et forcément celle-ci a des répercussions sur les vies individuelles. Simplement, comme je suis haitien et que je travaille avec les données que je connais le mieux, je travaille avec le réel haïtien. Mais je pense que c'est la même situation en France, aux États-Unis. Ce sont des différences de degrés. Et c'est pour cela que les romanciers que j'aime, qu'ils soient français, américains, japonais, peu importe.., sont les romanciers chez lesquels il y a cette tension justement. On y trouve les manifestations du structurel sur l'individu et les tentatives, qu'elles échouent ou qu'elles réussissent, de cet individu pour y répondre soit par la violence encore soit par autre chose.

Il y a souvent plusieurs voix dans vos histoires : la réelle et celle plus intérieure. Par exemples, Thérèse et son double ou Lucien qui entend sa mère Ernestine.
Plusieurs voix comme plusieurs points de vue. Pourquoi ces kaléidoscopes ? Est-ce une façon de dire que le monde, extérieur comme intérieur, est multiple ?

Certainement. Je pense que toute personne vivante n'a pas besoin d'être romancier, musicien, poète ou peintre, pour savoir qu'il y a plusieurs mondes. Il y a tellement d'expressions de la condition humaine que l'on peut travailler avec cela. Dans cet espace où nous sommes il y a plein d'éléments, de formes d'expressions différentes de la condition humaine. Il est important pour moi de témoigner un peu de cela, si par impossible quelques éventuels lecteurs avaient tendance à l'oublier. Et moi j'aime bien l'idée de rappeler, de me rappeler à moi-même qu'il y a plusieurs façons de dire le monde, qu'il y a différentes façons d'être au monde.
Différente façon de le voir également. En même temps, je me pose une question : est-ce qu'il n'y a pas une façon juste de voir le monde. Je me pose la question, je n'y répond pas.

Et vous me demandiez quels sont les personnages que j'aime ? Je crois que ce sont les personnages qui se posent ce genre de questions. Est-ce qu'il y a une façon d'aimer ? Est-ce que dire je t'aime, cela veut dire : « je veux que tu passes toute ta vie à ne baiser qu'avec moi, à ne voir que moi, à n'aimer que moi, à être mon esclave domestique dans le cas de la femme, à être mon esclave social dans le cas de l'homme » ; ou est-ce que cela peut vouloir dire : « j'aime que tu sois, que tu existes et j'accompagne ta liberté ».
Les personnages qui se posent ce type de questions sont ceux qui m'intéressent. Quel est le rapport que l'on doit avoir aux richesses, aux richesses du monde qui sont si mal partagées ? J'aime bien les personnages qui se disent : « eh merde ! et si on partageait autrement les richesses ? » Oui, les personnages qui s'interrogent sur le point de vue juste, le rapport juste, d'équité avec soi-même et avec les autres, n'est-ce pas cela la question essentielle ?

Que ce soit dans Thérèse en mille morceaux ou dans Bicentenaire, vous pointez rageusement du doigt l'emprise de la religion, la « bondieuserie » (en référence à votre article paru dans Le Monde du 31/01/09 – Les pays pauvres et l'ogre.) A vous lire, on a l'impression que, pour vous, la religion, les sectes deviennent une nouvelle prison pour les Haïtiens. Est-ce ainsi que vous le ressentez ?

Thérèse en mille morceauxSur l'évasion, les évangélistes, en Haïti il y n'a pas de doute. Je crois que c'est la menace idéologique, obscurantiste qui pèse le plus actuellement sur les esprits dans mon pays et pas seulement. Je crois qu'il y a là un mal qui nous guette. Sur les religions, je n'ai aucune hésitation à le dire, je suis né athée et il me semble que les religions ont fait beaucoup de mal. Il me semble tout simplement qu'il est impossible d'établir une morale universelle ou un principe d'éthique ou d'équité à l'échelle universelle qui ne soit fondé sur la laïcité. Tout platement, je vois mal comment on pourrait établir une morale universelle qui soit fondée en religion. Cela dit, libre à chacun de croire en toute intimité ; de croire en quelque choses qu'il défende et qui est nécessaire à son bonheur. Ce n'est pas l'idée de détruire la religion. Mais quand la religion se mêle de sortir de l'espace privé pour investir l'espace public, là elle commence vraiment à faire du tort. Quand elle se met à régler nos rapports au niveau des relations de travail, des relations humaines, nos rapports de l'individu au politique, y a quelque chose de très grave qui se passe. Et comme je suis attentif aux personnes réelles, je croise souvent cela en Haïti. Dans le cas de Thérèse en mille morceaux, c'est le sort de malheureusement tellement de femmes haïtiennes qui sont prisonnières d'un discours religieux qui les empêche d'être maîtresse de leur corps, de leur parole, de leur esprit.

Je crois qu'à partir du moment où on se mêle de publier, je ne dis pas d'écrire mais de publier, on est dans la distribution de propositions d'idéologies, évidentes ou souterraines. Donc je me dis, autant choisir mon camp dans le lot des relations humaines. Donc, je choisis mon camp et je suis en effet dénonciateur de tout ce qui peut empêcher l'individu de se construire une liberté.

Dans Thérèse en mille morceaux, vous écrivez : « on n'habite pas en paix sa différence avec soi-même. Où conduisent les différences ? » Avez-vous trouvé une réponse à cette question ?

Pas du tout. Mais je me la pose. Et puis on trouve des réponses mais ce sont des réponses du moment. Je vais vous donner deux citations qui me marquent. Ce sont des choses absolument contraires :
Il y a celle de Halldor Laxness qui disait : je crois que si je ne commence pas à me rassembler je vais devenir une épave pour le reste de ma vie.
Cette idée du rassemblement, vaincre sa propre fragmentation est une chose.
Et en même temps, c'était Nerval qui disait : je me nourris de ma propre substance et ne me renouvelle pas.

Donc il y a quelque part aussi un moment où il faut aller chercher l'autre, soit en dehors de soi, soit dans soi-même. Il y a ces deux démarches chez mes personnages.

Que ce soit dans Bicentenaire ou bien Thérèse en mille morceaux, il y a une référence à la mer, comme un lieu salvateur, un lieu où tout s'oublie. Quel est votre rapport avec elle ?

Je ne sais pas. C'est vrai qu'elle est toujours présente dans ce que j'écris. Il y a la mer. Il y a aussi le bleu. Peut être aussi le côté mouvement, très stable et en même temps dans une grande étendue. Je ne sais pas. Là c'est le travail des critiques ou des psychanalystes.

Dans Bicentenaire, BicentenaireLucien pense aux silences des autres marcheurs lors de la manifestation. Êtes-vous toujours convaincu qu'il y a un monde de silences, que nul n'entend le silence de l'autre ? Qu'est-ce que cela nous apporterait de partager ces silences-là ?

Plus d'intelligence. Plus de bonheur, plus de communauté, plus de compréhension. Peut être est-ce obsessionnel chez moi, que c'est ma maladie à moi. Parfois quand je suis assis dans un bar, je me demande : qu'est-ce qui se passe dans la tête de l'autre ? Est-ce qu'il n'y a pas un bonjour plus intérieur que l'on pourrait échanger ? Je suis presque obsédé par l'idée que les gens n'entendent, ne voient pas l'intérieur de l'autre. Parfois, on a besoin de se cacher parce que ce qui se passe à l'intérieur de nous-même car devant peut être la bêtise ou l'indifférence de l'autre, il n'est pas nécessaire de le révéler. Mais parfois aussi on aimerait bien que nos silences soient langage et disent quelque chose.

Oui, comprendre les silences de l'autre. Est-ce que les gens réalisent la somme de silences qu'il y a chez un suicidé ? Quelqu'un qui va se suicider et qui finit par le faire. Quelqu'un qui est suicidaire, évidemment, il va discuter, parler mais si on pouvait partager avec lui tout le silence qui mène quelque part à ce geste (c'est un langage comme un autre) peut être que l'on pourrait le garder en vie ?
Silences.

Dans Rue des pas-perdus, on sent votre révolte, votre colère face à la violence primitive récurrente qui soulève le pays. Comment cette violence peut-elle être endiguée ?

Encore une question qu'il faudrait poser aux politiques. Est-ce qu'ils écoutent eux ? Non, ils n'écoutent pas. J'ai l'impression qu'aujourd'hui, il y a une perte de sens du politique, de la politique. Que ce soit en France ou partout ! Finalement, les gens votent, pourquoi est-ce qu'ils votent, pour quoi ? Pour qui ?

Est-il toujours vrai que « les mots vous piègent et vous libèrent ? » Les mots sont-ils des dangers ? Faut-il toujours s'en méfier ?

Ah oui, j'ai une grande méfiance vis à vis des mots. Il y a des mots que j'aime. Il y a des mots que je n'aime pas. Il y a des mots qui sont méchants, qui sont bons, intelligents. Il y a des mots bêtes. Et comme disait Léo Ferré, « les mots et les armes c'est pareil. Ça tue pareil ». Il ajoute : « il faut tuer l'intelligence des mots anciens. »

Pour finir cette interview, pourriez-vous partager avec nos lecteurs ces mots que vous aimez, qui sont bons et intelligents. Autrement dit, quelles lectures nous conseilleriez-vous ?

Il faut absolument lire Voix de tête et les Cinq lettres du poète haïtien Georges Castera.
Si Darwich a raison lorsqu'il dit : « aucun peuple n'est plus petit que son poème », vous trouverez chez Castera le poème d'Haïti, donc sa grandeur.

Interview de Lyonel Trouillot - mars 2010 - Tous droits réservés Biblioblog

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