Je commence de suite par la nouvelle que j'ai reçu comme un coup de poing (sans vouloir faire de mauvais jeu de mots). Une violence ordinaire est une nouvelle dure sur la violence « ordinaire » dans les couples. Combien sont-elles à pouvoir se sortir seules ou avec une aide de cet enfer domestique ? J'avoue avoir eu du mal à lire cette histoire non pas parce que son écriture était en cause, loin de là ? C'est même tout le contraire. Mais bien à cause du sujet qui me mettra toujours en révolte, en colère. Tout le talent de son auteur Laëtitia Chrislit, est d'avoir su trouver les mots, le ton pour parler de ce délicat et intolérable sujet. Susciter la révolte, l'envie d'arrêter et dans le même temps capturer le lecteur pour qu'il aille jusqu'au bout, jusqu'à la nausée. Peut être jusqu'à ce qu'il réalise qu'il faut toujours agir face à ce genre de situation. Cette histoire vous prend aux tripes, au coeur, aux larmes.

Avec Orange sanguine, on entre de plein pied dans un autre enfer. Celui de Guantanamo. Ou quand l'innocence est prise dans l'arbitraire, la lutte aveugle du Bien contre le mal Elle finit par se métamorphoser à force de torture, de coups et d'humiliations en désir de vengeance. Est-ce que la guerre fondée sur l'ignorance de l'autre, l'intolérance obtuse peut justifier l'usage de tous les moyens ? Vaste question qui donne à réfléchir.

Une certaine idée du bonheur est une histoire où la femme est encore niée, où l'on a volé l'enfance, l'innocence d'une petite fille en raison de la pauvreté. Une enfant-bonne à tout faire, esclave même prise sous les coups de Madame, les instincts bestiaux d'un Monsieur trop souvent ivre. Un texte fort et d'un réalisme lucide.

Quant à Un lent vacillement et la nouvelle titre, L'enfant de la falaise, malgré une écriture soignée, des personnages bien campés, j'ai tout de même eu du mal à accrocher à ces histoires. Elles ne m'ont pas autant marquées que d'autres. Mais comme l'écrit Carole Martinez dans sa préface, on ne réagit pas tous de la même façon aux mêmes textes et cela n'enlève rien à leur qualité intrinsèque.

Dans ce recueil, il n'y a pas que de la violence ou de l'arbitraire, on y trouve aussi de la magie, de la poésie. Maria est un pur moment de douceur absolue. On fond littéralement. Une très belle fable pleine de poésie dans une ambiance pleine de mystères sous la lumière argentée d'une lune et d'un brouillard complices. C'est superbe.

En commençant la lecture de Les deux amours de Jean-Baptiste Robert, on ne peut prévoir sa fin. Car comment prévoir qu'Alice, la douce Alice "ronde comme une pomme, blonde comme un abricot" aurait droit à son jour de vengeance à l'encontre son mari Jean-Baptiste. Ce dernier veille un peu trop qu'à ses seuls plaisirs. Jolie histoire de magie et de chimie. Et une bonne leçon pour J.B Robert.

Si vous aimez les thrillers psychologiques, vous serez servis avec Morora. Vous remonterez dans le subconscient d'une enfant terrorisée et qui devenue adulte ne peut se défaire de ses cauchemars. Nina Kogni Edibi nous décrit le dur chemin que doit suivre la narratrice pour se libérer. Encore faut-il ne pas être totalement perdue avant. Même si on devine assez tôt qui sont ces bêtes qui hante l'enfant, le travail psychologique, le soutien, l'implication de Gabriel le médecin est très bien rendu.

Comme pour la nouvelle Maria, j'ai une tendresse particulière pour La naissance de la poésie. Il s'agit là d'une plaisante idée que celle d'un monde où les mots vivent leur vie, ont comme tout un chacun des idées, des sentiments. Un monde où ces derniers décident de boycotter celui des hommes car ils y sont trop maltraiter, jusqu'à l'oubli. Mais c'est sans compter l'existence de Mr Poëte. Ce monsieur promet de soigner tous les maux des mots dus aux hommes dont un plus spécialement : le vieillissement – sans parler bien sur de la mort du mot. Une fort jolie nouvelle d'Olivier Madgelaine, lui qui petit voulait être bandit de grand chemin. Tout un poème !

Je ne peux vous détailler tous les textes présentés dans cet ouvrage. Il faut aussi vous laisser le plaisir de la découverte. Vous y trouverez des histoires où les auteurs ne se regardent pas le nombril mais s'interrogent sur des sujets graves ou sont capables de fictions plaisantes, de création de mondes où la réalité et l'imaginaire, l'onirisme font bon ménage.

Voilà encore une impressionnante cuvée 2010 de jeunes talents. Les histoires tiennent bien la route, que le lecteur accroche ou pas, mais elles vont droit et sont bien soutenues par un travail d'écriture remarquable. Je reste soufflée, marquée par certains textes. Pourvu que ces auteurs en herbe continuent et nous offrent un jour des romans de cette même qualité. Cela nous changera de temps en temps d'un certain rond-rond que l'on peut lire chez certains plus primés ou ayant fait leur ornière. Du sang frais, neuf, vivant arrive ! Que voilà une excellente nouvelle !!

Voir aussi Il déserte et autres nouvelles (prix du jeune écrivain 2009)

Dédale

Extrait :

Maria

Au matin le monde de nouveau transparent accueillit Maria. Elle tenait entre ses bras des bocaux de verre vides qu'elle serrait contre son codeur comme s'il s'était agi d'un tout nouveau-né, avec vigilance et douceur. Les gens sur la place lui demandèrent où elle était passée, ce qu'elle avait bien pu faire toute seule au milieu de la forêt glacée pendant la nuit. Elle brandit ses bocaux en guise de réponse.
« J'ai chassé le brouillard. »
Elle prononça ces mots avec ravissement et tourna les talons pour regagner sa chambre. Un enfant sourit et l'un des hommes qui étaient là frappas trois fois sa tempe avec son index. Les autres rirent, tous ceux qui avaient assisté à la scène, exception fait du Menuisier qui tomba amoureux de la Chasseuse de brouillard. Il le sut simplement au pincement sans fin qui débuta à cet instant précis au plus profond de son abdomen. Plus tard, il se dit que cette sensation ressemblait sans doute à celle ces poissons crochetés par l'hameçon et désormais captifs.
Après les nuits de brouillard, les jours étaient claires et l'air retrouvait sa légèreté. Le soir venu, la lune reprit sa place dans le noir du ciel comme si la brume dévorante de la veille ne l'avait jamais délogée. C'est à sa lumière qu'on regarda Maria installer son attirail sur la place. Elle tendit un drap blanc entre deux piquets plantés dans le sol. Elle monta un vieux cadre en bois peint en vert et rouge, et braqua une lumière vive sur sa scène de fortune. Alors le spectacle commença.


L'enfant sur la falaise et autres nouvelles, Prix du jeune écrivain 2010 - Éditions Buchet Chastel - 377 pages (397 avec la présentation du Prix)