Pendant les deux premiers tiers du récit, le lecteur suit les aventures scolaires presque classiques de ce drôle de binôme : Moundour et Marine vont à l'école, découvrent l'amitié, apprennent à faire front face à l'adversité. Mais leur parcours reste malgré tout singulier. D'une part, Marine est obsédée par le silence de sa mère, partie sans laisser d'adresse ; elle lui écrit donc des lettres qu'elle ne poste jamais et tente désespérément de faire réagir son père. De l'autre, la mère de Moundour devant séjourner au Sénégal pour un documentaire, il se retrouve hébergé par Madame Roburen, professeur d'anglais à l'aspect revêche.
Cette partie du récit, au delà de l'histoire d'amitié, a cette qualité de faire découvrir aux lecteurs que leurs professeurs ne sont pas toujours ce qu'ils semblent être et qu'ils ont une vie en dehors de leurs salles de classe. Mais Patrick Joquel va au-delà d'une simple chronique scolaire et le titre prend alors tout son sens.

Le Sine Saloum est un delta formé de deux fleuves sur les terres sénégalaises. C'est aussi le lieu où est sensée vivre la mère de Marine depuis qu'elle a disparu. Pendant le dernier tiers du récit, Patrick Joquel, ayant lui-même vécu au Sénégal pendant de nombreuses années, se transforme alors en grio et nous raconte avec talent ce pays qui lui est si cher : les paysages, les traditions, la lumière si particulière. La tonalité de cette dernière partie est assez différente du reste du récit, plus descriptive sans doute, mais l'auteur ayant pris le temps au préalable d'installer des personnages attachants pour les jeunes lecteurs, ces descriptions sont fluides et intelligemment retranscrites à travers le regard de Marine qui découvre tout cela pour la première fois elle aussi. En alternant régulièrement les points de vue (la narration à la troisième personne est régulièrement entre-coupée des lettres que Marine adresse à sa mère), l'auteur rend le texte plus dynamique pour ses jeunes lecteurs et facilite l'identification.
Enfin, au-delà de la chronique adolescente et du voyage initiatique, Patrick Joquel n'en n'oublie pas pour autant d'aborder des thématiques plus délicates comme le racisme et le divorce.

Finalement, Un grain de sable dans le Sine Saloum est un récit sensible et riche sur l'altérité, une ouverture sur l'ailleurs, un regard au-delà des apparences. L'écriture fluide et élégante devrait convenir aux adolescents dès 13 ans.

Laurence

Extrait :

Chère Maman,
Encore un vendredi à t'écrire, Maman… Puisque tu n'es pas là. Encore une lettre que je ne posterai pas… Que tu ne liras pas…
Dis-moi, ça ne te fais rien de ne plus rien savoir de moi ? Parce que moi, ne rien savoir de toi, ça me déchire !
Non, je ne vais pas me remettre à pleurer, rassure-toi ! Je commence à être forte : depuis le 1er octobre, je n'ai pas mouillé un seul mouchoir, maman !
Alors, les nouvelles de la semaine…
Moundour Faye… Non, ce n'est pas mon petit copain !
Je ne lui ai jamais parlé et, paf, sale tour de la prof d'anglais : « Malivern, you'll work with Faye ! » Je l'aime pas ce mec, mais alors pas du tout ! [...]
Je ne l'aime pas parce qu'il me fait un peu peur; je ne le connais pas. Et toi, maman, j'ai peur de ne jamais t'avoir vraiment connue, pourtant je t'aime encore.


Un grain de sable dans le sine saloum de Patrick Joquel - Éditions Belem - 122 pages