Dans la nouvelle titre de ce recueil, Période bleue, l'auteur nous met de suite dans l'ambiance. Elle aborde le milieu de la peinture, de la création. Des peintres qui se connaissent sans pour autant être amis. Une sourde rivalité relie Meyer Anspach, un infâme personnage qui arrive à vendre son travail, et un autre plus timoré. Ce dernier est secrètement amoureux de la compagne de l'autre, Maria. Enfin, secret de Polichinelle. Il n'y a de secret que dans sa tête. Où comment la haine peut rendre aveugle devant un amour qui aurait pu le rendre heureux, le libérer d'un joug malsain de Anspach qui castre son inspiration, son travail.

Avec La gloriette, Valerie Martin nous emmène dans le monde universitaire et le théâtre. Carter est un jeune étudiant très doué et pourtant plein de modestie. Parade de désir, attirance mutuelle entre Carter l'étudiant, beau gosse et Sandra, la prof et metteur en scène de la pièce travaillée (Hamlet).
Sandra s'interroge sur la personnalité de Carter, cet être solaire.

Sandra, mariée, mère de famille sans histoire, enviée par tous pour la tranquillité domestique de son couple. Carter, un beau jeune homme bien élevé et courtois, sans petite amie attitrée, et que tu coup certains prenait pour un homosexuel.

Ils finissent par devenir amants. Pour Sandra, Carter n'est-il pas simplement la petite touche pétillante, d'interdit qui se glisse dans sa vie bien réglée ?

Les problèmes d'argent pour les artistes peintre sont étudier dans la nouvelle Beethoven. Rester sans le sou et continuer à peindre sur tout support et gagner tout juste de quoi vivre ou bien trouver un boulot à mi-temps pour échapper à la pression de l'argent pour avoir au moins les moyens de survivre et surtout de se payer le matériel pour peindre. C'est que la peinture, les pigments, les toiles sont chers pour les artistes qui vendent peu. Comment faire ? Car il faut peindre encore et encore pour proposer des œuvres aux galeries. A eux ensuite de faire que le travail proposé soit vendu.

Phil ne veut pas se « vendre ». Il ne veut pas admettre que ses portraits de Beethoven sur des feuilles de catalogues de papier peint ne se vendent plus, et qu'ils ont perdu de leur originalité. Phil est toujours amoureux d'Ingrid peintre qui vend. Ingrid l'a quitté pour une autre femme, l'a totalement oublié.
Sa compagne, la narratrice se cherche également. Elle abandonné ses études, au désespoir de ses parents, pour vivre dans la vie réelle. Mais cela se solde par un boulot de serveuse où elle n'est même pas bonne. Elle gagne elle aussi peu d'argent, reste la compagne d'un peintre qui l'apprécie bien mais ne lui apporte rien de plus. Dilemme pour l'un comme pour l'autre. Que faire de sa vie quand ses aspirations profondes ne sont plus que des illusions déçues ?

Dans Un roman inachevé, Max, un écrivain au talent modeste retrouve une femme jadis aimée, pour qui il n’a plus que dégoût. Rita a tant changé physiquement. Intellectuellement. Elle est restée la même, une rouée, une menteuse, une femme qui n'achève rien de ce qu'elle commence. Pourtant, elle a toujours été plus brillante que Max. De plus, autrefois, elle l'avait rendu très malheureux. Tous les souvenirs, les bons et surtout les mauvais remontent à la surface. Les retrouvailles sont difficiles, pénibles.

A l'évidence, aux yeux de Rita, ma réussite prouvait la validité de son accusation : en tant qu'écrivain, je cherchais à plaire  en tant qu'homme, j'avais peur de vivre 

Mais elle laisse entre ses mains un roman inachevé et qui, comme le suppose Max car il connait suffisamment Rita, surpasse tout ce qu’il pourra jamais écrire. Que va-t-il faire de cette œuvre ? Se l'approprier, la brûler ou la laisser dans un coin sans la lire ? Sa vie future d'homme et d'écrivain est conditionnée au cadeau empoisonné de Rita.

Avec La porte ouverte, on trouve Edith et Isabel. Les deux femmes sont en Italie à l'occasion d'un congrès sur la poésie où Edith lit quelques-unes de ses œuvres. Isabel sa compagne est danseuse. Elle est pleine d'enthousiasme pour Rome où elles vivent actuellement. Isabel n'a jamais pu se faire à la vie de la ville et université du Connecticut où elles travaillent toutes les deux en tant que professeurs. Là-bas, tout y est étriqué, bourgeois. A Rome, tout y est tellement plus vivant, sensuel, débordant de vie. Pourtant, Edith ne s'y sent pas bien. Depuis qu'elle est arrivée en Italie, elle n'a plus rien écrit. La ville est trop bruyante entre autres griefs. Edith semble plus âgée, plus posée qu'Isabel. Cette dernière aurait tant d'occasion de faire de nouvelles conquêtes. La jalousie lance quelques pointes. De quoi a donc peur Edith ? Passera-t-elle la porte qui s'ouvre vers une nouvelle vie ?

Métamorphose est une histoire assez particulière. Pour la première fois, l'auteur y aborde l'influence du corps sur le travail des artistes. Tout a donc une incidence. Gina est artiste peintre. Elle travaille essentiellement sur des gravures. Elle a aussi atteint l'âge où elle souffre de la ménopause. Cela perturbe son travail mais aussi sa vie de couple avec Evan, son auteur de mari. La vie n'est pas facile auprès d'une femme devenue irascible, qui n'a plus le sens des heures, de la modération. Elle finit peu à peu par se couper du monde, de ses amis, de son mari malgré la bonne volonté et les efforts constants de ce dernier
Cette nouvelle est aussi spéciale par sa fin très ouverte. Au lecteur de décider. La métamorphose de Gina, si bien trouvée, est comme une dernière pirouette d'artiste.

Dans toutes ces nouvelles, les personnages, leurs interrogations, les relations entre des artistes, les rapports de force, qu'ils soient peintres, écrivains de roman, de poésie, gens du monde du théâtre, avec leur entourage sont traités de façon fort pertinente et intelligente. Est-ce que la création, le statut d'artiste oblige à négliger une part de sa vie d'être humain et le fait qu'ils doivent tout de même vivre en société ? Est-il possible de trouver un juste équilibre entre ces deux statuts ? Leurs réflexions sont parfaitement brossés, sans complaisance, une écriture sous tension comme une corde raide à la limite de la rupture. Une écriture sèche, tendue, pleine de vitalité et de cynisme. Cela a de la poigne, du mordant.

Ce qui étonne le plus dans ce recueil de Valerie Martin, c'est sa façon d'aborder ces questions de créativité, les interrogations d'artistes. On pourrait reprendre à son sujet une phrase à propos du travail de Rita, mentionnée dans Le roman achevé. Elle colle parfaitement au travail de V. Martin.

L'intrigue de Rita était assez simple : un triangle amoureux, une histoire d'abandon et de vengeance. Mais ce n'était pas l'intrigue qui prenait le lecteur par surprise, c'était le style. « Brutal, mais élégant ».

On ne peut trouver meilleure description du travail de V. Martin. Une très belle découverte.

Dédale

Extrait :

Et si le roman de Rita avait du succès ? Il existait des précédents. Virgile, Emily Dickinson, Franz Kafka, Fernando Pessoa, John Kennedy Toole, pour n'en nommer que quelques-uns, avaient laissé à leurs parents et amis le soin de s'occuper des milliers de feuilles volantes. Kafka avait surpassé tous ses collègues en obtenant de son ami Max Brod la promesse de tout brûler à sa mort, brûler Le Château, brûler Le procès, mais au grand soulagement de la postérité, Brod n'avait pas respecté sa promesse. J'étais allé sur la tombe de Kafka à Prague et avais posé le galet requis sur la pierre tombale afin de maintenir en place le frêle Tchèque, et un autre sur celle du loyal Brod, toute proche. Quel genre d'ami aurait pareil exigence ? Kafka était mourant depuis des années. Il avait eu tout le temps de brûler ce qu'il voulait brûler. N'avait-il donc pas de poêle, pas de boite d'allumettes tchèques ?
Si le livre de Rita était publié, mon rôle dans l'affaire serait mentionné dans la présentation. Comme celle de Brod, ma célébrité pourrait reposer sur cet épisode. Je serais l'écrivain de second ordre mais généreux, montant au créneau pour l'œuvre géniale d'une artiste disparue prématurément, écrasée par l'indifférence d'une industrie cruelle. Le public se délecte de ce genre de choses : l'illusion que les artistes, à la différence, disons, des hommes d'affaires, sont mûs par une solidarité chaleureuse. Dans leur dévotion à la religion de l'art, ils cherchent toujours à célébrer le génie, où qu'il se trouve, sans souci de rivalité ni d'intérêt personnel.


Période bleue de Valerie Martin - Éditions Albin Michel - 259 pages