Le texte est une succession de lettres. Trois parties : avant la rencontre, l'intimité, après la rupture.
Ce livre n'est pas à laisser entre des mains trop jeunes. Des visions érotiques d'abord phantasmées seront plus tard décrites très impudiquement, jusqu'à l'obsession, sans tabou.
Si l'ouvrage ne se réduisait qu'à ça, il ne présenterait guère
d'intérêt. Il est vrai aussi que la première partie tourne quelque peu en
rond. De nombreuses lettres reviennent ainsi sans cesse sur le cadre dans
lequel le livre se construit (d'abord à deux). En effet, alors que le
projet annoncé était de simuler une correspondance amoureuse, les lettres
tournent autour du projet littéraire, du livre
, de leurs livres.
Pourtant, par la force de l'imagination, des échanges sur Internet, la
narratrice imagine que l'autre fait partie de sa vie alors même qu'elle ne
l'a pas encore rencontré. Elle écrit comme pour pallier un manque : Je ne sais pas si ça remplace. Je ne sais même pas si ce manque
est possible, si ressentir le manque de ce qu'on ne connaît pas est
possible, je ne sais pas si tu peux me manquer autant alors que nous
n'avons jamais été ensemble.
.
Ce qui fait la qualité de ce livre est son écriture. Avec un vocabulaire on ne peut plus courant et des phrases découpées en petits morceaux très rythmés, l'auteure atteint un degré d'évocation étonnant pour ce niveau de concision. De nombreuses lettres sont construites sur des métaphores élaborées et récurrentes. D'autres vagabondent et offrent de magnifiques surprises.
Du même auteur : Nous-nous.
Extrait :
Nos livres ne sont pas des boîtes où nous enfermons les papillons, ils sont les cocons où s'agitent et s'affairent les chenilles, et nos mots, nos phrases, sont faits de soie vivante. Ils sont cet espace étroit dans lequel deux chenilles tissent, chaque jour, chaque heure. Elles tapissent les parois par la bouche de baisers de mots, de caresses, de corps à corps. Je passe ma main sur l'abdomen doux de la chenille. Quand ce sera fini, qui pourra dire si nous avons été amants ou jumeaux ? Le papillon sera peut-être monstrueux. J'aime tellement ce texte, tissé de nos salives, difforme, insensé et pourtant si plein de sens. Je cherche encore les mots pour définir le goût de ce passage de nos phrases, de ta bouche à la mienne, de la mienne à la tienne. Il y a un goût de métal, à cause du fer dans le sang, mais pas seulement. Je cherche. Embrasse-moi encore.
Je sais pourquoi tu as pris mes pinces à cheveux pour des papillons noirs, c'est parce que tu me crois capable de faire naître des papillons dans les chevaux des petites filles. Parce que tu crois en moi.
L'Absence d'oiseaux d'eau d'Emmanuelle Pagano - Éditions P.O.L - 297 pages.
Commentaires
lundi 19 avril 2010 à 08h51
Ton billet a tout pour donner envie et pourtant, je ne sais pas… Sans doute aurait-ce été une réelle fiction, ces questions ne me seraient même pas venues à l'esprit, mais en l'état l'objet même de ce roman me met mal à l'aise; il y a pour moi quelque chose d'indécent à exposer ainsi son intimité sans que l'Autre n'y participe alors que c'était le point de départ de la création. Je me rappelle d'ailleurs un autre roman d'une auteure qui fait polémique, où elle avait exposé (là encore sous la forme de l'auto-fiction) sa relation avec un homme connu et marié, et déjà à l'époque ce procédé m'avait rebutée. Et pourtant, je ne doute pas, comme tu l'écris dans le billet, que cette œuvre d'Emmanuelle Pagano a des qualités littéraires incontestables.
mardi 20 avril 2010 à 21h06
Dans ce livre, l'Autre, c'est « toi » ; par rapport à un certain nombre d'autres textes auto-fictionnels (dont je ne suis pas friand non plus), cela donne un regard différent au lecteur, qui est peut-être alors moins un voyeur.
Je ne savais rien de ce livre avant de l'acheter. C'était le dernier roman d'une auteure à propos de laquelle j'avais lu du bien (pour son roman précédent). Eussé-je su davantage à propos de ce livre en particulier, mon opinion a priori eût peut-être été semblable à la tienne.
mardi 20 avril 2010 à 21h23
Moi j'ai particulièrement aimé "les adolescents troglodytes" dont on a parlé dans mon groupe d'atelier d'écriture. Ensuite j'ai lu "les mains gamines" mais celui-là m'a mis très mal à l'aise.
Je n'ai pas encore lu "l'absence d'oiseaux d'eau" mais je suis persuadée que c'est une auteur à suivre.
mardi 27 avril 2010 à 12h14
Dans le cadre du 5ème rendez-vous "Une voix à traduire", le CITL reçoit Emmanuelle Pagano le 30 juin 2009 à 18h00, à la médiathèque d'Arles (Espace Van Gogh).
Plus d'information sur notre blog: http://collegedestraducteurs-arles....
Cordialement,
L'équipe du CITL