Catherine Laurent épouse le regard de la mère, déchirée par l'absence de son « aimé » mais qui tente, coûte que coûte, de préserver ses enfants : il y a le petit dernier, Josse, âgé de 7 ans, si fort malgré sa jeunesse ; Louise, la cadette un peu effacée; et Gilles l'aîné mais aussi le plus fragile. Gilles qui s'auto-mutile parce que la mort lui est insupportable. Ce quatuor refuse de quitter le domicile familial quand la ville est évacuée, parce que c'est là que le père viendra les rejoindre. Alors, entre deux bombardements, chacun tente de préserver cette petite étincelle, ce faible espoir d'un retour.

Avec un tel sujet il était si facile de verser dans le pathos, de proposer quelque chose de gluant et larmoyant. Et pourtant, Catherine Laurent ne tombe jamais dans cet écueil. Bien au contraire, avec une plume d'une grande sobriété et d'une extrême pudeur, elle met en lumière le quotidien de ces non-héros, la violence et l'absurdité de ces derniers mois de guerre où le libérateur peut devenir ange de la mort. En filigrane, elle nous parle de ceux qui œuvrèrent dans l'ombre pour aider les plus démunis qu'eux; de la solidarité entre habitants ; de ces actes si dérisoires au regard de l'Histoire mais si déterminants à l'échelle d'une vie.
Et puis bien sûr, il y a l'histoire de cette famille et Catherine Laurent dépasse la simple chronique de guerre pour nous offrir un témoignage bouleversant. Chacun des portraits est saisissant de justesse et d'émotion ; pas une émotion guimauve et convenue, mais quelque chose d'âpre et violent comme l'amour sait parfois l'être. La peur, omniprésente et obsédante, intervient comme un catalyseur et renforce les liens qui unissent les enfants et la mère. Et si l'image du fils aîné est sans doute la plus dérangeante et la plus mémorable, elle n'en atténue pas pour autant les évocations des autres membres de la famille.

En fait, en avançant dans la lecture, on réalise que tout repose sur l'écriture de l'auteure, et que Catherine Laurent a su avec beaucoup de talent, magnifier cette chronique pour proposer un réel objet littéraire, aussi concis que poignant.

Laurence

Extrait :

(Jeanne et ses trois enfants - Gilles, Louise et Josse - sont enfermés dans un trou creusé dans le jardin pour échapper au bombardement)

Elle compte les bombes qui sifflent avant d'exploser. Sept, il y en a sept. Sept explosions à cent mètres en plein milieu du fort. Puis il y a des tirs d'artillerie derrière le mur du jardin qui les sépare du fort. Les soldats ripostent.

- Laisse-moi, Maman ! J'peux plus respirer…
Jeanne se met derrière lui et le cale entre ses cuisses, sa poitrine contre son dos. Elle appuie ses mains sur son sternum. «Respire en même temps que moi. J'inspire, j'expire. Encore, on recommence, j'inspire, j'expire». Gilles gonfle son ventre. Je respire avec elle, je sens sa poitrine, je ne pense qu'à ça. À son souffle.
Pendant qu'elle étouffe l'angoisse de son fils, Jeanne pense aux habitants de la ville, tremblants, terrés, comme eux. Elle pense à ses amies ambulancières dehors qui risquent leur vie pour en sauver d'autres. Combien de temps allons-nous tenir?
Louise sourit dans l'obscurité. Elle a confiance. Pour son anniversaire, Jeanne lui a offert un cerf-volant qu'elle a fabriqué avec de la toile de drap, des baguettes de bambou, des tendeurs et une petite planche pour le fil. Elle sent dans sa paume une ligne de cals, là où elle serre la poignée. Elle pense au saut du cerf-volant qui s'envole dans le ciel et ça lui donne des frissons. Ce soir, Louise laisse courir le fil. Son cerf-volant fait des figures. Elle le retient, elle court, elle l'accompagne. Personne ne la voit.


Il est parti de Catherine Laurent - Éditions La cause des Livres - 112 pages (Prix Marguerite Audoux 2009)