Méfiance des deux côtés, mais c'est Arsène qui a la parole et qui nous conte avant tout ses souvenirs, de plus en plus inquiétants au fur et à mesure qu'on tourne les pages. Difficile d'en dire beaucoup sans déflorer le personnage qui mérite d'être découvert comme l'a voulu l'auteur, c'est-à-dire d'insinuations en petites révélations. Le lecteur comprend qu'Arsène porte un passé familial très chargé et qu'en particulier, il est hanté par son frère aîné mort-né. Alors même si les parents de Louis et Juliette en font trop dans la méfiance au départ, le lecteur qui s'est pris d'affection pour ce taiseux qui pense beaucoup finit par craindre pour les enfants, à tort ou à raison, qui sait, l'angoisse monte petit à petit.

Fabienne Juhel maitrise vraiment bien son récit et parvient à faire passer le lecteur par toute sorte de sentiments et de soupçons envers son narrateur. Il en dit assez pour qu'on s'attache à lui, tout bourru qu'il est, mais aussi assez pour qu'on le soupçonne du pire puis qu'on en veuille aux parents d'être trop méfiants. Ça suinte finalement la folie tout ça, le délire morbide et les vieilles croyances séculaires. Les dernières pages se tournent d'elles-mêmes.

J'ai eu un peu de mal au départ avec le style adopté par Fabienne Juhel qui adopte le langage oral, "un parler populaire plein de verdeur, ironique et violent" dit la quatrième de couverture. Ce qui entraine en particulier systématiquement des négations amputées du "ne", il faut s'y faire.

C'est morbide, bien construit et finalement agréable à lire et prenant.

Ys

Extrait :

Je vais pour lui répondre quand une mouche entre dans mon champ de vision. Une qui zouzoune. Une emmerdeuse du genre humain. Aussitôt mes yeux la capturent pour plus la lâcher. Il peut parler l'autre, je suis tout entier concentré sur ma mouche. Je la suis dans son vol. Elle change de palier et survole la table. Elle commence une manœuvre d'approche, sort son train d'atterrissage. Et ça a pas manqué ! La voici posée sur le plat. Elle a des vues sur mon bout de jarret. Pour l'instant, elle se contente de pomper les taches de gras sur le pourtour de plat. Minaude et fine bouche en plus de ça. Je la surveille du coin de l'œil.
D'habitude, je fais très attention pour que les mouches, elles entrent pas dans la cuisine. Je déteste ça, les mouches, surtout les bleues, pareil pour les vertes, celles qui se posent sur les lèvres des morts. J'ai vu ça. Des vieux couchés dans un lit aménagé dans le séjour pour recevoir les proches. On ferme les volets, on brûle du papier d'Arménie, mais ça suffit pas toujours.
Le Père, on l'a gardé trois jours dans la salle. Les mouches, elles nous ont suivis jusqu'au cimetière.


À l'angle du renard de Fabienne Juhel - Éditions du Rouergue - 234 pages