Parmi les auteurs indiens que j'ai lus, Anita Nair est sans nul doute celle qui semble accorder le plus d'importance à la forme littéraire de ses livres. J'avais donc hâte de savoir ce qu'il en serait dans son dernier roman.

Ainsi, je fus surpris de lire dès les premières pages une mise en parallèle entre les sentiments de Mîra et ceux de la déesse grecque Héra. Ce leitmotiv reparaît tout au long du roman. C'est curieux, puisque je pense que même le public occidental, en majorité, ignore ces détails fouillés de la mythologie grecque. C'était mon cas, mais l'auteure donne suffisamment de détails pour que ces allusions ne soient pas cryptiques.

Au fur et à mesure de mes lectures, une règle de crédibilité en matière de fiction s'est dégagée : Nul intrigue de roman ne saurait utiliser plus d'une fois l'artifice de la coïncidence sans se décrédibiliser.. Le monde peut être petit, mais pas trop quand même. Au moment subit où je me suis rendu compte que ce roman y contrevenait, j'ai presque maudit l'auteure d'avoir cédé à cette facilité !

Pourtant, le livre refermé, je ne peux que louer la façon dont l'auteure se joue du lecteur. Ce roman comporte en effet deux niveaux. D'une part, les états d'âme de Mîra et ses discussions avec sa nouvelle amie Vinnie à propos de ses amants potentiels créent une atmosphère légère de chick lit pour quadragénaire embourgeoisée. Certains personnages caricaturaux, d'autres totalement effacés et un coup de théâtre digne de Dallas orientent dans cette direction. D'autre part, et c'est le plus intéressant : le roman dresse un panorama des difficultés éprouvées par les femmes au cours de leur existence, quand celle-ci n'a pas été niée avant la naissance. La combinaison des deux niveaux fournit aussi une illustration des relations parents-enfants, de la responsabilité en cas d'accident (on comprend assez vite que des choses horribles sont arrivées à la fille de Jak), de la résilience.

La façon dont la narration avance dans ce roman est très déroutante. Il s'agit d'une sorte de roman d'exploration. De même que Jak va enquêter pour comprendre ce qui est arrivé à sa fille, les éléments de compréhension de l'histoire ne sont donnés au lecteur qu'au compte-gouttes. Bien souvent, quand une série de paragraphes commence, on ne sait pas a priori où elle se situe, qui parle, quand. Plusieurs interprétations restent possibles jusqu'à ce qu'une observation rompe la situation d'ambiguïté. Ainsi, des informations qui dans d'autres romans seraient donnés aussitôt, le lecteur devra s'armer de patience pour les obtenir et les mettre à leur place dans sa vision globale des personnages. En outre, mais il s'agit là encore de se jouer du lecteur (à la manière des cliffhangers dans les séries américaines) : de nombreuses scènes sont interrompues au moment où cela allait devenir intéressant. Un fil d'action est laissé en plan et on ne sait jamais où est-ce qu'il reprendra ! Le roman présente donc une forme peu hachée, quelque peu énervante.

Je pense que les traits horripilants de ce roman sont rachetés par ses qualités et sont peut-être même à ajouter au nombre de ses dernières.

Du même auteur : Les neufs visages du cœur, Balades indiennes, Un homme meilleur

Joël

Extrait :

― Qui est donc ce genre de gemme, Mîra ? coupe Vinnie quand Mîra tente de lui expliquer la confusion dans laquelle elle se débat. Quelle femme, sauf peut-être une nymphomane ou une putain, se présente comme une femme disponible ? Pas nous, Mîra. Pas même moi qui — je sais que tu le penses — change d'amant comme de baguette dans mon chignon. Je ne suis pas disponible. Tu sais ce que nous sommes : vulnérables !
Voilà ce que nous sommes. Des idiotes vulnérables qui croient, en dépit de tous leurs échecs précédents, que cette fois-ci elles ont trouvé l'homme de leur vie ! L'homme, le seul, l'unique, qui fera de leur vie un conte de fées inépuisable. Contre qui elles pourront s'abandonner, qui sera là pour elles...


Quand viennent les cyclones
d'Anita Nair - traduit de l'anglais par Dominique Vitalyos - Éditions Albin Michel - 387 pages.