J'ai retrouvé ici cette écriture envoûtante et fascinante qui m'avait tant séduite dans Luz ou le temps sauvage. Dès les premières lignes, les personnages d'encre prennent chair et accompagnent le lecteur dans un voyage où il est question d'identité, de pardon et de résilience.
Bien sûr, l'histoire de l'Argentine est quasi-omniprésente mais en toile de fond et non en premier plan. Dans Sept nuits d'insomnie il est avant tout question d'humains, de ces êtres déchirés, morcelés par des années de peur et de soumission. Il y a Juan et Gabi, le frère et la sœur qui ne peuvent supporter l'éloignement respectif (Les lettres de Juan), Monica ou Laura qui voient ressurgir les fantômes du passé (Le film de Monica, Sept nuits d'insomnie), Marco découvrant son autre lui (Le rétrogradé), Kuki, l'exilée volontaire (Élà) ou encore Ezequiel qui ne peut oublier cette jeune femme croisée à l'enterrement de son ami Martin (Sanglot). Ce qui est frappant dans ces récits, c'est la capacité de chacun à faire la paix avec son passé malgré l'horreur des souvenirs. Une nouvelle fait pourtant exception et elle est d'autant plus insupportable et réussie qu'elle met en scène un homme qui préfère être fidèle à son devoir patriotique qu'à sa paternité (Père et patriote).
Au delà de l'histoire de l'Argentine, Elsa Osorio explore également les terres du fantastique et de l'onirisme. Les récits se font alors tout à la fois plus violents et métaphoriques : de la mise en abyme surréaliste (Le rêve impossible) au conte mythologique (L'homme de Balmes), en passant par le registre de l'anticipation (Imitations, nouvelle qui fait penser à certains textes de Matheson), l'auteure s'amuse à nous surprendre et nous invite une fois encore à nous interroger sur la question de l'identité et de la reconstruction.
Au milieu de toutes ces récits, deux textes sont particulièrement réussis et frappants ; deux récits où Elsa Osorio met les sens de l'odorat et du toucher au cœur de son écriture : Joy est submergée depuis quelques temps par une odeur pestilentielle qu'elle seule semble percevoir. Son quotidien devient insupportable mais la découverte de l'origine de cette odeur va l'être plus encore. Et puis, il y a ce Petit royaume sordide, cet appartement qu'occupe occasionnellement la narratrice, ce lieu où elle peut laisser libre cours à son fantasme du désordre et du chaos dans une vie trop bien rangée. La plume d'Elsa Osorio se fait ici très charnelle et sensuelle malgré le cauchemars apparent et le lecteur comprend que l'horreur et la répulsion ne sont pas forcément là où on les attend.
Si les nouvelles ne font que quelques pages, elles n'en sont pas moins denses et j'ai ressenti le besoin de faire une longue pause à la fin de chacune d'elles. Et ce rythme de lecture, un peu lent, m'a permis d'apprécier pleinement les univers et destins proposés par l'auteure. Je suis réellement enchantée par cette nouvelle rencontre avec la plume d'Elsa Osorio, et je sais que je ne suis pas prête d'oublier Joy, Monica, Marco et tous les autres.
Du même auteur : Luz ou le temps sauvage
Laurence
Extrait de Joy :
Elle ne s'expliquait pas comment dans cet espace ouvert l'odeur pouvait autant se concentrer. Le bateau avançait sans qu'elle perde en instensité. Joy observa les touristes et ne put détecter une seule réaction de désagrément, ils paraissaient jouir de la magie des canaux de Bruges. Ils avaient tous un air insouciant, échangeaient des commentaires en diverses langues sur la nature et l'architecture, propos que Joy avait cessé d'écouter dès que l'odeur avait surgi. À côté d'elle, des Japonais regardaient le paysage à travers leurs appareils photographiques. Horribles mais très propres, reconnut Joy, l'odeur ne pouvait venir d'eux, ni du couple qui était devant elle. Peut-être de l'homme affalé à sa gauche. Il n'était pas chaussé, la couleur et la rugosité de sa peau le désignaient comme le principal suspect. Joy se rencogna discrètement vers la droite pour s'éloigner de l'homme et de sa saleté. L'odeur l'accompagna dans son mouvement, concentrée, pestilentielle.
Sept nuits d'insomnie d'Elsa Osorio - Éditions Le Métailié - 140 pages
Commentaires
mardi 11 mai 2010 à 13h59
A signaler aussi le maginifique "Tango".
Le thème ?
A Paris, au Latina on danse le tango. Luis invite Ana à danser. Elle est française et elle aime le tango avec passion. Il est argentin, de passage à Paris pour une dernière tentative d'échapper à une crise économique et psychologique. Un projet de film sur le tango va les réunir.
Tango recrée l'histoire d'une ville et d'une musique à travers la saga de deux familles, aux deux bouts de l'échelle sociale, une intrigue sans faille, des personnages attachants et hauts en couleur pour une oeuvre littéraire forte où le fantastique revendique la force vitale de l'amour et de la danse. Un cocktail explosif d'amours, de luttes, de joies et de trahisons, et une danse dangereuse et sensuelle qui les réunit en une étreinte.
Avec l'élégance d'une bonne danseuse, Elsa Osorio change de temps, de narrateur, d'espace comme on change de cavalier, et son écriture communique au lecteur le vertige de la danse, l'ivresse de la musique mêlée à la sensualité et au mouvement.
Une écriture très sensuelle que je vous recommande chaleureusement
mardi 11 mai 2010 à 18h57
Je note car comme toi j'avais beaucoup aimé "Luz et le temps sauvage". Un grand souvenir de lecture.
mercredi 12 mai 2010 à 19h01
Alice-Ange : merci pour ce résumé de Tango. Tu as raison, il faut que je le lise.
Sylire : j'ai retrouvé le même charme dans l'écriture et ce même attachement à l'humain. J'espère donc que tu aimeras toi aussi.
mercredi 12 mai 2010 à 22h31
Après plusieurs jours de vagabondages en Italie ,me revoici prête à avaler encore 6 pavés pour une autre sélection...bon ,dans la foulée de "Luz..",j'avais lu aussi "Tango", très bien résumé par Marie-Ange,peut-être plus artificiel que "Luz",mais que j'ai beaucoup aimé quand même. Tout ceci pour dire que je vais lire les nouvelles d'Elsa Osorio ,même si la nouvelle n'est pas mon genre préféré.!