Il était une fois, puisque souvent les histoires que l'on écoute au près du feu commencent ainsi. Il était une fois, donc, une jeune fille prénommée Catalana. Avec ses parents, ses oncles, frères et cousines, elle sillonne les routes de France à la recherche d'une terre qui pourrait les accueillir pour quelques temps. Mais dans notre monde moderne, il n'y a pas de place pour les nomades. Sitôt installés, ils reçoivent la visite du maire ou des policiers qui leur demandent de repartir. Les Gadjos, ces gens qui ne vivent que par la propriété et ne supportent pas que l'on pense différemment d'eux.
Pourtant, le grand-père de Catalana aimerait tant que ces deux peuples finissent par se comprendre et s'entendre. Au crépuscule de sa vie, il sait qu'il ne lui reste pas assez de temps pour accomplir un tel projet ; il demande donc à Catalana de mener la Guerre noble à sa place.

En suivant Catalana, le lecteur découvre toute une culture souvent méconnue ou mal connue :

Pour les Gadjos, les Gitans restent un peuple étrange et maléfique, avec des femmes qui jouent avec leurs dons de voyance, en abordant les gens sur le parvis d'une église ou d'un trottoir. Si les Gitans ont des dons de voyance, les Gadjos ont un don de… voyeurs ! Ils nous regardent sous toutes les coutures, contant notre passé et notre futur, racontant nos histoires anciennes, décrivant notre grande Histoire dans des livres que malheureusement nous ne lirons jamais et dont, le plus souvent, nous ignorons même l'existence.

Car c'est bien là que réside le problème : chez les Gitans, le verbe est sacré mais l'écrit souvent ignoré ou mal maîtrisé. Tout se transmet donc à l'oral, loin de l'imprimerie et des grands circuits de diffusion. L'un des grands mérites de cet ouvrage est donc d'être raconté par un membre de la communauté gitane. Luis Ruiz fait tomber tous les poncifs, toutes les idées pré-conçues qui règnent d'un côté comme de l'autre. Catalana sait que le combat à mener sera difficile car elle devra également lutter contre son peuple, lui apprendre à écouter l'autre, le sédentaire, à comprendre ses réticences et à employer ses armes : l'école, l'instruction en est une. Il ne s'agit pas ici d'entrer tête baissée dans un conflit fratricide et l'adjectif Noble est sûrement plus important que le substantif auquel il est accolé. Noble parce qu'il s'agit de s'ouvrir à l'autre sans jamais renier sa propre culture.

Au milieu du conte initiatique, Luis Ruiz ouvre une parenthèse douloureuse sous la forme d'un récit onirique : près du terrain où Catalana et les siens se sont établis, une usine désaffectée porte les stigmates des périodes sombres l'Histoire du 20ème siècle. L'auteur nous rappelle alors, sans jamais être totalement explicite, que la communauté gitane a payé de sa chair et son sang les atrocités de la seconde guerre mondiale.

La guerre noble est un très beau récit, chargé de poésie et d'humanité. Un texte à faire découvrir à nos adolescents, qu'ils aient grandi dans cités, des caravanes ou de confortables villas, pour leur donner envie d'aller vers ceux qui ne leur ressemblent pas.

Laurence

Extrait :

- Grand-père, pourquoi sommes-nous aussi aimés que méprisés ?

Grand-père resta sans réponse.

Mais son âme lui parla :
- C'est comme des milliers de petites gouttes d'eau tombant du ciel sur la terre ; elle ne savent pas où elles atterrissent, mais celui les qui reçoit ressent leur fraîcheur et inonde une terre fertile pour nourrir son peuple.
» Les flots d'un fleuve sont immenses; ils naissent d'un endroit, parfois inconnus, mais au fur et à mesure qu'il coule, qu'il s'installe, il franchit et prend toute sa force. Parfois il fait des heureux, parfois il fait pleurer, quand il se met en colère et décide de déborder pour tout noyer, tout emporter sur son passage. Alors il se croit fort et invincible, mais après quelques jours, il finit par se retirer, pour aller mourir dans l'immense bouche de la mer.
» C'est un peu comme nous. J'ai peur qu'un jour, on finisse engloutis dans une bouche géante, celle de l'évolution. »


La guerre noble de Luis Ruiz - Éditions Le navire en pleine ville - 90 pages