Théophile, c'est ainsi que Julian a nommé l'homme aux couteaux. Le vieil homme se promène tous les jours très tôt sur la place. Julian, jeune étudiant en journalisme, le suit régulièrement depuis la terrasse de son appartement. Julian est cloué dans un fauteuil roulant suite à un accident de moto. le chauffard n'est toujours pas identifié.

Antoine et sa femme Jeanne sont les propriétaires de La maison, ancienne maison de la grand-mère aménagée en chambres d'hôtes. Ils ne savent comment vivre au mieux l'annonce du sida de leur fils Alain. Comment se faire à l'idée que l'on risque de survivre à son enfant ?

L'arrivée de vacanciers, d'inconnus venus de partout pour une semaine de vacances sur une plage du Nord, va-t-elle être l'occasion de leur changer les idées, à surmonter la colère enfouie, la peur de la vie après. Pourtant, chaque nouveau venu arrive avec dans ses bagages son propre lot de tourments.

Amélie et sa fille Mosane ont loué une chambre dans La maison. Elles viennent pour une semaine de vacances, pour oublier peut être le départ de Olivier, journaliste porté disparu en Orient. Amélie et sa fille ont des rapports très secs. Elles souffrent chacun de leur côté, ont des difficultés à se rapprocher. Mosane, fragile adolescente si maigre, qui ne mange plus depuis le départ en reportage de son père, s'accroche à Julian. Le dynamisme de la jeune fille bouscule l'étudiant mais ils s'entendent finalement bien.

Hilde vient travailler pour un mois à l'hôtel des dunes. Elle vient de Rome où elle s'est décidée à s'éloigner de Manuel. Elle l'aime mais sent bien qu'il ne l'aime pas de la même façon en retour.

Frédéric est musicien. Il est venu au bord de la mer avec une voiture pleine de gamins. Mathias, l'aîné aux milles questions, Laura et sa copine Rachel et le petit Tom qui fait craquer tout personne l'approchant. Ce papa poule est encore sous le choc. Un jour, il aurait pu tuer un homme surgissant juste devant sa voiture. Les multiples questions de Mathias lui révèle s'il en est besoin combien sa femme Pauline, chacun de ses enfants lui sont indispensables.

Tous couvent une blessure, une peine sans fond. Tous font des efforts immenses pour donner le change mais ils vont comme sur des sables mouvants, des sables émouvants qui parfois se dérobent sous leurs pieds. Perdre pieds, ce n'est pas décrire un spleen mais juste une grande fatigue, une lassitude, la crainte de la vie après le coup de tabac qui s'est abattu sur eux. Chacun a à faire face à un évènement, une maladie ou une séparation. Il leur faut trouver les ressources pour repartir, pour soi, pour ceux qu'ils aiment. Quand le coup porté a été plus rude que les autres, comment ne pas sombrer totalement ? C'est ce à quoi s'attache Colette Nys-Mazure, montrer comment ils vont trouver à se raccrocher à la vie. Même si ses personnages ne disent rien explicitement de ce qui les tourmentent, une promenade sur la digue, un souvenir d'enfance, le plaisir d'un bon bol de soupe ou la découverte d'un couteau dans le sable, en disent beaucoup plus. Par ces rencontres, peut-être vont ils trouver la clé qui les soulagera, les faire aller vers l'autre, vers soi.

La mise en place du décor et des personnages s'opère dans ce roman par petites touches précises, toutes en douceur, comme de légers coups de pinceau successifs. L'auteur a su trouver les mots juste, trouver la tonalité d'humeur de chacun de ses personnages. Elle use d'un style immédiatement imagé. Le lecteur a parfois le sentiment, comme dans un rêve, d'assister un peu en retrait à ces rencontres ou alors d'y participer en témoin privilégié. De plus, l'auteur sait intelligemment mélanger les styles de la narration, mélanger le collectif avec l'individuel. Offrir un tableau d'ensemble comme des autoportraits tout en finesse.

Perdre pieds est un roman impressionniste, subtil, délicat. Une belle marine le temps d'une semaine à la plage.

Du même auteur : Célébration du quotidien

Dédale

Extrait :

Julian a senti venir l'orage. Au moment de fermer la porte-fenêtre, il a vu se lever les paumes, les visages ravis aux yeux clos de Tom et de Mathieu recevant les premières gouttes très larges, annonciatrices du déferlement. Les enfants immobilisés sur la digue et la voix vigilante :
- Rentrez vite, vous allez être trempés !
Julian courant nu dans le jardin sous l'averse d'été, rattrapé par sa mère. Mon petit fou. Enveloppé d'une serviette aussi bleue que la fleur de lavande dont elle glissait des sachets dans l'armoire  emporté au sec, au sûr, mais encore ébranlé par l'éclair, le tonnerre, la trombe. Elle aussi, les cheveux ruisselants  l'odeur de la pluie.
Ce soir, ciel et plage lessivés à grande eau, personne pour goûter la fraîcheur revenue  où sont passées les mouettes ? Dans l'obscurité montante, le sable devient noir. Rien que les chalutiers et la lumière tournante d'un phare pour affronter la nuit. Tout manque  tu as vécu dans des chambres transies, tu as cru y mourir et soudain te voici au vide central traversé d'appels. Sous la porte, quelqu'un a glissé une feuille de papier : le dessin d'un cerf-volant très coloré survolant les jambages malhabiles d'une déclaration : Julian, je t'aime, qui n'a pas besoin de signature. À l'horizon, septembre, sa solitude, sa rigueur. Aurai-je assez de force ?


Perdre pieds de Colette Nys-Mazure - Éditions Desclée de Brouwer - 148 pages