Cinq nouvelles, cinq conditions sociales différentes mais toutes abordées avec le même schéma narratif, bien structuré. C'est tout d'abord la présentation de la famille du mort bientôt touchée, les relations entretenues entre le futur défunt et sa parentelle. Puis c'est l'arrivée de la maladie ou la dernière charge de la vieillesse. Il y a ensuite l'attention, les soins apportés au mourant. La présence ou non des proches, l'expression de leur inquiétude, de leurs émotions. L'appréhension de la perte imminente. On oublie pas non plus la question de l'héritage s'il y en a un. L'existence 'un pécule ou d'une situation est une donnée à prendre en compte. La cérémonie de l'enterrement, la mise en bière, l'attitude du clergé. On sera noyé de phrases latines ou pas. Six lieues de route à faire pour aller quérir le curé de campagne, on réfléchit. Le convoi et le chemin vers le cimetière est aussi source d'informations. Les commentaires des amis, connaissances ou voisins vont bon train. La qualité de la dernière demeure est bien évidemment conditionnée à vos revenus de votre vivant.
On pourrait craindre un enchaînement de longues descriptions de la part de l'auteur. Mais il n'en est rien. Tout y est décrit avec une rare sobriété, dans le style inimitable du maître.
Le comte de Verteuil doit s'aliter. On fait venir les plus grands spécialistes. Sa femme vient le visiter de temps en temps entre ses séances avec sa couturière et les visites à rendre à ses amies. Jusque au bout il faut tenir son rang – il a tout de même été aussi député. On lui a même proposé un maroquin -, respecter les règles de leur monde, les apparences à sauver. Garder toujours sa dignité même si comme un paysan épuisé on meurt seul.
Mme Guérard est veuve d'un magistrat n'en finit pas de s'éteindre. Son avarice a préparé ses fils à une guerre de succession dont ils n'avaient au départ pas idée. Cela n'aide pas la bonne Dame à en finir. La suspicion nait entre Georges, Charles et Maurice. Elle gangrène tout : de savoir qui va aller relever les loyer des trois immeubles que la mère gérait, qui va avancer les frais de la cérémonie. La guerre sur cet héritage, les biens pouvant renflouer leurs dettes respectives s'enflamme vite. Le notaire a bien du mal à apaiser les frères. Ils ont bien vite oublié qu'ils venaient de perdre celle qui les avait mis au monde.
M. Rousseau est papetier de son état. Avec sa femme Adèle, ils ont toujours travaillé dur pour tenir leur boutique de papier, de bâtons de cire et autres articles d'écriture. Ils avaient toujours l'espoir d'amasser un petit pécule suffisant pour pouvoir le manger tranquillement dans quelque petite propriété à la campagne. Mais la femme de tout temps de faible constitution (je me souviens de la cousine de Denis Baudu dans Au Bonheur des dames) apprend que la maladie sera la plus forte. Elle en prend son partie et prépare son mari en conséquence. Le jour de la cérémonie funèbre arrive. La belle-soeur Agathe pointe son nez. Cette dernière entre en fureur quand elle apprend qu'il existe un testament. Sa soeur a pris ses précautions. Elle n'a pas voulu que son mari soit dépouillé du fruit de son travail par une belle-soeur que l'on a peu vu aux moments difficiles. Le chagrin du mari déjà teinté d'inquiétude car l'enterrement a eu lieu un jour de semaine et la boutique est restée fermée.
Les Morrisseau sont de petites gens. Elle est blanchisseuse, lui est main-œuvre acceptant tout travail se présentant. Ils sont dans une extrême pauvreté, une misère sans nom. On s'échine tant qu'on peut pour récolter quarante sous pour un peu de pain, une bougie. Leur fils de dix ans, le petit Charlot attrape une pleurésie. C'est Il se meurt du fait de la pluie et du froid qui entrent dans leur réduit ; la sous-nutrition a fait le reste. Les parents sont abattus par le chagrin. Ils ont bien conscience que leur misère sans fond les empêche de sauver leur enfant ; le médecin et les médicaments coûtent si chers.
On ne pleure qu'à peine dans la famille de Jean-Louis Lacour, soixante-dix ans. La moisson avant tout. Le vieux aurait pensé et fait de même pour tout autre. La vie, les travaux des champs, la mort et puis voilà. C'est la force des choses.
Tout le talent d'Émile Zola est bien de raconter en si peu de mots, en si peu de pages ces histoires, ces conditions sociales, les différences qui creusent des fossés si profonds. On lit ces pages d'une traite, le temps d'une respiration que l'on retient tant c'est édifiant et toujours si d'actualité.
Du grand art.
Du même auteur : Nana, Naïs Micoulin
Dédale
Extrait :
Le cimetière est à l'autre bout de La Courteille. Aussi, les paysans lâchent-ils la civière deux fois au beau milieu de la route ; ils soufflent un instant, crachent dans leurs mains, pendant que le convoi s'arrête et l'on repart, on entend le piétinement des sabots sur la terre dure. Quand on arrive au cimetière, le trou, en effet, n'est pas terminé le fossoyeur est encore au fonds, qui travaille on le voit s'enfoncer et reparaître, régulièrement, en lançant des pelletés de terre.
Quel cimetière paisible, endormi sous le grand soleil ! Une haie l'entoure, une haie dans laquelle les fauvettes fond leurs nids. Des ronces ont poussé, et les gamins viennent là, en septembre, manger des mûres. C'est comme un jardin en rase campagne, où tout grandit à l'aventure. Au fond, il y a des groseilles énormes un poirier, dans un coin, est devenu grand comme un chêne au milieu, une allée de tilleuls fait une promenade fraîche, un ombrage sous lequel les vieux viennent fumer leur pipe en été. Le terrain désert et inculte a de hautes herbes, des chardons superbes, des nappes fleuries où s'abattent des vols de papillons blancs. Le soleil brûle, des sauterelles crépitent, des mouches d'or ronflent dans le frisson de la chaleur. Et le silence est tout frémissant de vie, on entend la joie dernière des morts, la sève de cette terre grasse qui s'épanouit dans le sang rouge des coquelicots.
Comment on meurt de Emile Zola - Éditions du Sonneur - 76 pages
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