Depuis quelque temps, Anna a quitté sa ville de La Rochelle pour travailler à Paris. Le travail est éreintant parfois un peu ingrat, mais elle se console en retrouvant celui qu'elle aime chaque week-end. Alors, quand elle comprend qu'elle s'est trompée de train, sa première pensée va évidemment à son fiancé. Elle veut l'appeler mais l'arrivée de cet inconnu lui brouille totalement l'esprit. Dans un premier temps, elle pense que l'erreur vient d'une ressemblance physique mais l'inconnu s'obstine à l'appeler Chloé et il semble tellement si sûr de lui, qu'Anna n'ose lui expliquer sa méprise.

Petit à petit, Anna se glisse dans la peau de Chloé et découvre une vie qui aurait pu être la sienne. L'auteur procède d'abord par flash-back et nous laisse entrevoir le quotidien surmené et peu gratifiant d'Anna. On comprend alors un peu mieux pourquoi elle se laisse prendre au jeu des confusions : Anna est celle qui a su concrétiser ses désirs, celle qui se laisse le temps, celle enfin qui entretient le mystère. Par contre, rien ne nous est dit - ou presque - sur cet inconnu et l'on s'interroge jusqu'à la fin sur l'origine de la méprise : est-il réellement dupe ? Ou Chloé n'est-elle qu'un fantasme née de l'imagination fertile de cet homme ? A moins que tout cela soit à la fois plus simple et plus déroutant…

Dans ce court roman, Roland Goeller s'amuse à nous interroger sur ce qui fait une identité. Sommes nous réellement ce que nous croyons être ? Existons-nous uniquement à travers le regard que nous porte l'autre ? Anna, le temps d'une escapade, enfile les habits et les pensées de Chloé ; elle joue la partition d'une autre, s'invite dans une histoire qui n'est pas la sienne, et tout cela avec un naturel désarmant. Si les dernières lignes viennent confirmer une hypothèse née en cours de lecture, Roland Goeller le fait avec suffisamment de subtilité pour que cette conclusion soit toute en poésie et légèreté.

Laurence

Extrait :

Mais tandis qu'elle ramasse des affaires, elle se sent retenue par le bras.
- Chloé, entend-elle appeler.
Elle se retourne vers un homme qu'elle ne connaît pas, qu'elle n'avais jamais vu auparavant.
- Chloé, poursuit ce dernier, pardonne-moi, je suis un peu en retard.
L'homme lui fait face, son visage est à moins d'un mètre du sien. Anna s'attend à ce que l'homme s'excuse de sa méprise, car à cet instant encore elle croît à la possibilité d'une méprise. Mais l'homme ne s'excuse nullement. Au contraire, il continue à sourire, comme si elle était réellement Chloé. Et son sourire à cet instant est comme la petite goutte qui fait déborder le vase, et le vase en débordant la laisse sans voix.


Vous me prenez pour quelqu'un d'autre de Roland Goeller - Éditions Siloë - 118 pages