Fatou a 6 ans. Elle vit sur la petite île de Niodor. Chaque jour ou presque, elle accompagne son grand-père à la pêche. Cet homme, elle l'aime sans condition, sans réaliser quel est réellement son quotidien ou la difficulté de son travail. Il est simplement celui qui rassure, celui qui raconte ces légendes qui nourrissent l'imaginaire de la fillette :

J'avais six ans et, sur le chemin des champs de mil, je m'agrippais à sa main rugueuse comme on s'accroche à une rampe de fer forgé. J'avais six ans et je n'enviais aucune princesse de conte de fées, puisqu'il avait fait de son cœur mon trône et me racontait en permanence la fabuleuse histoire des Guelwaar. J'avais six ans, j'ignorais qu'il pouvait avoir des tourments, puisqu'il était l'hercule qui me soulevait d'une main et trouvait une solution à tout ce qui me semblait impossible.

Fatou a grandi. Elle a quitté son île pour poursuivre ses études. Dans son petit appartement, les livres ont peu à peu remplacé les balades en mer avec son grand-père. Ils sont ses nouveaux compagnons de route, ses amis indéfectibles :

Au hasard des découvertes ou sur les conseil de mes professeurs, j'accumulais les livres comme on multiplie les amitiés. Au sortir des cours, les jours sans classe et chaque fois que mes petits boulots m'en laissaient le loisir, j'allais, pleine d'affection, retrouver tous ces personnages qui m'invitaient à les suivre à travers le monde. Et dans ma petite chambre de lycéenne, perdue dans une banlieue sableuse de M'bour, loin de Niodor, mon île natale, je n'étais plus seule, puisque j'avais réuni les miens.

Et voilà qu'un jour, Fatou Diome découvre Le vieil homme et la mer d'Ernest Hemingway. Immédiatement, nait un sentiment de familiarité. Ce texte raconte l'histoire de son grand-père, peu importe que le vieil homme d'Hemingway soit né si loin de son île, peu importe qu'ils ne soient pas de la même époque ou de la même langue, les deux hommes ont la mer en commun, cette immensité à la fois alliée et ennemie. Elle comprend alors ce qu'elle ne faisait que pré-sentir enfant : le courage d'un homme, la difficulté de son quotidien et la devise qu'il ne cessait de répéter : Vivre c'est avoir le pied marin.

46 pages, pas plus, et pourtant j'ai savouré chacune des phrases, chacun des mots tricotés par Fatou Diome ; dans une langue à la fois virevoltante et apaisante, elle tisse une merveilleuse déclaration d'amour universelle. Nous sommes tous cette petite Fatou devenue grande que la littérature a consolée et bercée. Nous avons tous, un jour ou l'autre, rencontré un texte qui nous a profondément ému ou bouleversé. Fatou Diome nous parle de ces instants de grâce où les mots des autres semblent avoir été écrits pour nous ; de ce sentiment de reconnaissance, de re-naissance.

Et alors que Fatou Diome rend hommage aux grands hommes de son existence, Titouan Lamazou, célèbre navigateur et artiste, l'accompagne en magnifiant le corps de la femme. Sous une couverture épurée et presque terne, le livre renferme sept illustrations pleine page, qui jouent tantôt sur de grands aplats de couleurs, tantôt sur la fragilité des courbes et des traits, le tout dans un camaïeu de violet et rouge. Toutes évoquent l'eau et la féminité et l'ensemble (texte et peintures) forme un parfait équilibre.

Le seul défaut de ce texte, puisqu'il y en a un, c'est sa brièveté. Arrivée au point final, frustrée que l'on ne m'en donne pas plus à déguster, j'ai immédiatement relu le texte, avec le même plaisir renouvelé. Avouez que si tous les textes qu'on lisait souffraient des mêmes failles, on ne s'en plaindrait pas.

(Ailleurs dans la blogosphère : Gwenliliso)

Laurence

Extrait :

La fragilité de l'humain, les questions existentielles et la vision du monde que les bons auteurs savent nous transmettre rendent toutes les frontières poreuses. Tentaculaire, la généalogie littéraire surplombe toutes les barrières. Nous sommes dispersés sur le globe, mais la littérature nous tisse des liens. Gens de même lecture, gens de même questionnement, gens de même sensibilité au monde, gens de même révolte, gens de même quête. Par le livre, on se trouve des dénominateurs communs et on se reconnaît, au-delà des petits tiroirs identitaires.


Le vieil homme sur la barque de Fatou Diome & Titouan Lamazou - Éditions Naïve - 46 pages