Ce qui vous attrape au début du livre, quand on commence à suivre le cheminement du major Makovski, dit Mako, c’est son détachement désabusé.
On identifie assez vite le flic de la BAC au bord de l’implosion. On suit ce type visiblement au bout du rouleau, vidé de sa substance qui ne fonctionne plus qu’en mode binaire, du détachement froid ou de la violence brute, alternativement et sans discernement. On en profite au passage pour récolter une petite galerie de portraits d’une équipe de terrain qui patauge dans la fange et qui, pour se protéger, ne vit qu’entre elle, en meute avec son mâle dominant, ses commensaux et ses prétendants au trône. Un milieu où il est de bon ton d’afficher sa testostérone, son racisme et son mépris des petites racailles.
C’est dans cette partie là, sans doute, que le lecteur peu aguerri risque de décrocher.
Les personnages y sont décrits avec un détachement clinique et pourtant, on s’attache au récit. Pas seulement parce qu’on veut savoir la fin, mais aussi, par un petit coté malsain; pour être là quand Mako va péter un plomb et donner la mandale de trop.
On lit avec une moue dégoûtée la description sans fioriture d’un monde malsain, et en même temps on y plonge avec délectation, comme on ralentit pour regarder un accident de voiture, ou plutôt, comme on attend que le funambule rate son coup et s’écrase au sol.

Dans la deuxième partie, lassé, en recherche d’autre chose, en quête de ce feu sacré érodé par l’usure, Mako accepte une mutation aux stups, ce qui ressemble à une rééducation et va l’amener à se remettre en question et à affronter ses démons.
Là encore, une galerie de portraits donne vie à des personnages qu’on ressent familiers, qu’on a dû, une fois dans sa vie, croiser dans un rade miteux où on s’était arrêté par erreur.
On y rencontre aussi un flic, Alpha Keïta, qui est l’antinomie du monde dans lequel évoluait Mako jusque-là. Il est noir, patient, cultivé et visiblement plus doué pour les dossiers que pour le terrain. C’est un changement salvateur pour Mako qui va réapprendre à penser, à attendre le bon moment et se redécouvrir un enthousiasme jusque-là oublié.
Et il va en avoir besoin pour dénouer l’écheveau d’une intrigue qui, quoique relativement prévisible, n’en reste pas moins bien ficelée et solidement crédible.
C’est là que la magie opère. Au fil des pages de cette seconde partie, le style s’allège au rythme de l’esprit de Mako qui s’extirpe de la chape de plomb. Le lecteur s’adoucit et s’aiguise au rythme des mots et des tournures qui deviennent plus légères, le texte devient plus fluide et plus accueillant tandis que l’intrigue se dénoue et que Mako s’extirpe de la fange.

Vous l’aurez deviné, j’ai aimé suivre la lente rédemption d’un flic en perte d’humanité.
Rédemption d’autant mieux rendue par un style impeccable, tout en suggestion où l’on sait que la phrase finale va venir, annoncée non pas par des mots, mais par le style même du texte qui s’allège, quitte lentement le coté obscur pour revenir à la clarté. J’ai aimé cette galerie de personnages criants de vérité dans leur lâcheté ou leur courage.

Ce qui me paraît sûr, c’est que Mako reviendra. Dans Le Roi des cranes, il a pris vie et substance.
Ce qui me paraît sûr, c’est que Laurent Guillaume en est à son deuxième livre, et que sa plume me paraît promise à un bel avenir.

Le temps des tâcherons qui écrivaient des polars au kilomètre risque d’être bientôt révolu si tous les nouveaux auteurs de polar sont de cette trempe !

Hugues

Extrait :

On échangeait des nouvelles de sa santé, commentait le dernier journal télévisé. On riait, on pestait contre l’État. Les accents sentaient bon Paname d’autrefois ou Oran la radieuse, de l’autre coté de la mer. Une colonne d’enfants dissipés partait pour le terrain de sport sous la surveillance vigilante de leurs professeurs. Les livreurs pressaient le pas, rejoignant leur camionnette en poussant ou tirant leur diable par la queue.
La ville n’est pas encore aux mains des barbares songea-t-il.


Le roi des crânes de Laurent Guillaume - Éditions Les Nouveaux Auteurs - 342 pages