Tombe, tombe au fond de l'eau est une comptine, faite de plusieurs fables racontées par deux personnages peu communs, que l'on croirait sortis d'une légende. Zeca est un ancien pêcheur et Dona Luarmina sa voisine est une grosse femme qui a passé sa vie à des travaux de couture recluse comme une novice qu'elle a été un temps. Ils vivent au Mozambique, au bord de l'océan indien.

Leur histoire est délicatement parsemée de phrases pleine d'une douce poésie mélancolique, teintée du sentiment de Saudade.

Toutes les fins d’après-midi, la mulâtre reste assise sur une marche, à effeuiller des fleurs invisibles. Après quelque temps, la cour est jonchée de pétales. Le sol étonné.

Parlez-moi de votre passé. Racontez-moi vos rêves, demande Dona Luarmina à Zeca.

Et lui de raconter, de broder sur des souvenirs qu'il invente de toute pièce car il ne veut pas de son passé, qui risque de le tuer. Il ne veut pas non plus d'un futur qui selon lui n'existe pas, il préfère donc se prélasser dans le présent, aux côtés de la voisine dont il est amoureux.

Il raconte donc, la vie, la mort, son vieux père aux yeux de requin, de sa mère refusant le départ de son mari et qui sombre dans la folie. Dona Luarmina sourit parfois de son visage plein de tristesse, mais jamais ne parle d'elle, de ses désirs profonds qui jamais ne se réaliseront. Elle résiste toujours à cet amoureux cajoleur.

Au premier abord, on se demande ce que l'auteur va nous raconter et puis peu à peu, les mots dont il joue à merveille, les personnages, cette petite philosophie toute particulière de leurs conversations quotidiennes vous prennent dans leurs filets. Ensuite, vous maudissez toute personne ou événement qui ose perturber votre lecture.

Vous êtes entrés dans un monde à part, une rêverie éveillée, bercée par ces échanges doux-amer et le bruit des vagues.

A découvrir, à déguster lentement, à savourer intensément.

Dédale

Du même auteur : L'accordeur de silences, Poisons de Dieu, remèdes du Diable.

Extrait :

Oui, je vous le dis, ma Dame. Il est dommage que vous alliez et veniez à fatiguer vos yeux de par le monde. Vous devriez plutôt vous passer un rêve sur le visage dès le matin. C'est ce qui retient le temps et retarde la ride. Vous savez ce que vous allez faire ? Étendez-vous là sur le sable, allongez-vous bien couchée, étirez votre âme en diagonale. Ensuite, restez ainsi, bien silencieuse, bien au ras du sol jusqu'à sentir la terre s'éprendre de vous. je vous le dis, Dona : lorsque nous nous taisons pareils à une pierre, nous finissons par entendre les accents de la terre. A un certain moment, madame entendra un sol marin telle une mer sous la peau du sol. Profitez de cette berceuse, Dona Luarmina. Je tire de bons avantages de ces silences sous-marins. Encore aujourd'hui ce sont eux qui m'endorment. je suis son enfant à elle, à la mer.
- Un enfant, oui. Il y a longtemps que vous avez oublié votre âge.
- Vous savez ce qui serait bien ? C'est que nous nous conjuguions, vous comprenez, Dona Luarmina ?
- Soyez raisonnable, Zeca.
- Comme si nous étions verbe et sujet.
- Je connais déjà votre grammaire…
- Ah madame, ma bonne amie, vous ne savez pas à quel point vous enluminez ma rétine.
Luarmina ne rétorque même pas. Avec raison d'ailleurs. Je suis qui, moi ? Un chasseur de poisson qui n'a même pas à qui raconter ses aventures. C'est vrai, Dona, je ne peux même pas donner un peu de lustre à mes mensonges. en sont-ils vraiment ? Si moi, qui n'ai pas attesté mes propres récits, je finis par me croire ? C'est la mer la coupable - oui, là-bas, les limites s'estompent -, tout peut y advenir. En mer il n'y a pas de mot, ni personne pour demander de comptes à la vérité. Comme disait le vieux Celestiano : là où il est toujours midi, tout est nocturne.
Revenons à la femme, Dona Luarmina. Personne n'a jamais été aussi proche. Car elle, quand elle n'est pas dans mes yeux, elle est dans mes rêves. Encore et encore cette femme pulpeuse et bien charnue. Bien plus que ses fesses, c'est son derrière qui aura doublé de volume. en son temps, elle a attisé bien des fougues masculines. mais aujourd'hui, elle est éteinte. Pas pour moi qui m'allume en sa présence et me consume en son absence.


Tombe, tombe au fond de l'eau de Mia Couto - Éditions Chandeigne - 78 pages
Traduit du portugais (Mozambique) par Elisabeth Monteiro Rogrigues