Alice Tully, 17 ans, vit des jours heureux avec son petit ami Frankie et se prépare à entrer à l'université. À première vue, rien de la distingue donc des autres jeunes filles de son âge. À première vue seulement car Alice Tully s'appelle en réalité Jennifer Jones.
Elle est cette fillette de 10 ans qui a défrayé la chronique il y a quelques années de cela, parce qu'elle avait tué une autre enfant de son âge. Après 7 ans passés en prison pour enfant, elle doit maintenant recommencer une nouvelle vie. Mais les journalistes  britanniques, à l'affut du scoop et du scandale, ne l'entendent pas vraiment de cette oreille…

La construction du roman emprunte beaucoup aux polars et la narration alterne en permanence entre présent et passé. L'intrigue se noue ainsi à deux niveaux :
D'un côté, la vie actuelle d'Alice Tully qui tente de se reconstruire. Mais pour cela il faut qu'elle puisse oublier et se faire oublier. Difficile en effet de se pardonner à soi-même, d'accepter que l'on puisse être aimé et réussir sa vie comme tout un chacun. Si certains aspects factuels peuvent paraître invraisemblables, Anne Cassidy parvient à brosser un portrait psychologique très crédible et la jeune Alice Tully remporte la sympathie immédiate du lecteur. Ce point est d'ailleurs primordial car il donne toute sa force au propos de la romancière : est-on foncièrement bon ou méchant ? Un criminel a-t-il le droit de tout recommencer à zéro ?
Le second niveau de l'intrigue se concentre autour du passé de l'héroïne, quelques mois avant qu'elle ne tue. La romancière prend alors le temps d'installer le contexte social et familial. Certaines scènes sont parfois éprouvantes mais montrent bien que la maltraitance ne se limite pas aux coups et blessures, et que l'absence d'amour et l'ignorance sont tout aussi destructeurs. L'identité de la victime et les motivations du crime ne sont dévoilées que tardivement dans le roman pour préserver le suspense.

Voilà un roman pour adolescent pour le moins surprenant. En fait, en le lisant, j'ai totalement oublié qu'il s'adressait à des adolescents et j'ai simplement eu l'impression de lire un très bon roman noir. Bien sûr ce n'est pas un roman à lire si on a un coup de blues et certains passages un peu glauques peuvent effectivement heurter les jeunes âmes sensibles. Pourtant, c'est un roman que je recommanderai avec plaisir aux collégiens et lycéens car en plus d'une intrigue rondement menée, il contient de nombreuses pistes de réflexions sur le poids de la culpabilité, la réhabilitation, l'ingérence des journalistes, les relations mère/fille ou encore la sexualité, sans jamais se montrer inutilement pédagogique.

(d'autres avis, ailleurs dans la blogosphère : Clochette, Elfique, Midola et Tiphanya )

Laurence

Extrait :

Elle regarda les affiches dans la vitrine, puis le petites annonces. Se détachant nettement des autres, l'une d'elles posait une question en lettre gigantesque :

AVEZ-VOUS VU CETTE JEUNE FILLE ?

En dessous était placardée une photographique qu'Alice ne voyait pas très bien d'où elle se trouvait. De l'autre côté de la vitrine, Rosie s'éloigna un peu du comptoir, tandis que le marchant de journaux continuait à lui parler. Il semblait compter quelque chose sur ses doigts.
« Avez-vous vu cette jeune fille ? » En lisant ces mots, Alice eut un choc. Tant d'années avaient passé depuis Berwick. Le lendemain du jour fatal, les murs de la petite ville  s'étaient couverts de photographies. En réalité, c'était toujours la même, qu'on avait sortie d'un album, agrandie puis photocopiés en plusieurs exemplaires. Elles avaient été glissées dans des pochettes en plastique du même format qu'un classeur, puis collées sur les troncs d'arbres, les réverbères, les fenêtres des maisons. À cette époque, Alice restait chez elle, elle n'avait pas pu les voir, sauf à la télévision. Un journaliste avait dû en montrer une en demandant :« Avez-vous vu cette jeune fille ? ». Tout le monde la cherchait.
Seule JJ savait où elle se trouvait.


L'Affaire Jennifer Jones de Anne Cassidy - Éditions Milan collection Macadam - 316 pages