L'intrigue se passe dans la maison de tante Léonie où le narrateur de A la Recherche du Temps Perdu à l'âge des culottes courtes passait ses vacances. La veille d'un colloque qui doit réunir des chercheurs français et américains ainsi que des aficionados du monde entier, la présidente de la Proust Association, Madame Bertrand-Verdon, est retrouvée assassinée.

Le commissaire Foucheroux et l'inspecteur Leila Djemani mènent l'enquête. Avec eux, on suit le colloque, les interventions, la visite guidée de la Maison de la tantine menée comme une expédition militaire par un vieux fan au noeud papillon impeccable.

Les principaux intervenants au colloque sont interrogés. Nous avons là, la secrétaire Gisèle détenant certaines clés de l'intrigue, son directeur de thèse cherchant à se faire mousser avant sa retraite, son homologue américain Patrick Rainsford, futur vieux beau. On oubliera pas un éditeur amoureux et un presque fiancé de la victime issu de la Haute. Estelle Monbrun dirige ses personnages de main de maître et avec délectation elle nous livre quelques portraits bien dessinés. Le petit monde universitaire est gentiment égratigné.

L'enquête policière avance doucement mais sûrement. Le tout est agréablement truffé de quelques fragments choisis de A la Recherche. Juste de quoi donner envie d'y goûter plus intensément si cela n'est pas déjà fait.

Quant à la personnalité de la victime, Adeline Bertrand-Verdon, elle est assez complexe.Cette femme ne laisse pas indifférent. De sa vie, elle n'a  " hésité sur aucune transgression " pour satisfaire son ambition à faire partie des étoiles. Ainsi, elle ne s'est pas fait que des amis. " On l'aimait ou on la détestait mais il n'y avait pas de demi-mesure. "

Ce petit roman noir est très bien écrit et sans prétention. Bref, c'est une fort agréable distraction qui vous tient bien dans ses rets. A lire simplement accompagné ou non de petites madeleines.

Dédale

Extrait :

Ce fut la sonnerie du téléphone qui la tira sans douceur de cet intermède bienfaisant. Réveillée en sursaut, elle maudit la "sécretaire" dont les précautions ne lui permettaient pas d'avoir libre accès au lieu d'où émanait la source du bruit. En fait, il y avait quelque choses d'insolite dans cette sonnerie à répétition. Elle n'aurait pas dû être aussi stridente. On n'aurait pas dû l'entendre avec autant de netteté. A moins… à moins que la porte du bureau ne soit ouverte.
Oubliant ses douleurs, Émilienne monta quatre à quatre les marches cirées de l'escalier. Arrivée en haut, elle constata qu'effectivement la porte du bureau était entrebâillée. Stupéfaite, elle se demanda si elle allait oser répondre au téléphone. D'un côté, ça ferait voir à l'autre… Brusquement, elle prit sa décision. Elle ouvrit toute grande la porte entrouverte et allait poser la main sur l'appareil quand son pied heurta une sorte de damier noir et blanc.
Surprise, elle recula d'un pas sans quitter des yeux ce qu'elle prit d'abord pour un grand chiffon posé négligemment sur le parquet. Soudain, le morceau de tissu prit corps. Elle vit qu'il avait des bras et des jambes immobiles et une perruque noire qui gisait au milieu d'une flaque rouge. Le "chiffon" était un tailleur à carreaux, à l'intérieur duquel Émilienne crut que Gisèle Dambert était morte.
Sans prendre garde au fait que la sonnerie du téléphone s'était enfin arrêtée, Émilienne, horrifiée de voir ainsi réalisés ses vœux les plus secrets, redescendit les marches plus vite qu'elle ne les avait montées, et se précipita dehors en criant :
- la sécretaire est morte ! La sécretaire est morte !
Dans son affolement, elle ne remarqua pas que la porte d'entrée qui donnait sur la rue n'était pas fermée à clé.


Meurtre chez tante Léonie de Estelle Monbrun - Éditions Vivianne Hamy, collection Bis - 249 pages