C’est l’histoire du peuple du bois de Duncton et de sa lutte contre la tyrannie de Mandrake, la sinistre brute venue de la lointaine Siabod.
C’est l’histoire d’un héros pas vraiment taillé pour sa destiné qui entrera dans la légende de son peuple. Il deviendra un grand voyageur, le plus grand que son peuple ait connu - un exemple de foi et d’abnégation -, et l’histoire de son amour avec Rebecca traversera les générations.
Il ira jusqu'à la lointaine Uffington et au-delà jusqu'à la sombre Siabod à la recherche du « Silence » cette sagesse ultime à laquelle aspirent tous ceux qui prient les Pierres. Au passage il y découvrira que tout n’est pas si simple, que personne n’est méchant sans raisons, et que la pire des cruautés peut cacher la pire des souffrances.
Tout cela sera rapporté par son indispensable alter ego Boswell, scribe d’Uffington, qui le suivra fidèlement dans toute sa quêtes et bien au-delà.
C’est une histoire somme toute classique, mais voila,… le peuple du bois de Duncton, ce sont des taupes !

Là réside la première difficulté, il faut accepter le postulat de départ. Un peuple de taupes avec sa culture, ses légendes, sa religion, son mode de vie. Honnêtement, on s’y fait bien, d’autant mieux que l’auteur nous entraine à la suite des personnages dans les terriers de Duncton où on découvre la vie de ses habitants, et les drames qui les frappent.
L’autre réussite, c’est de ne pas avoir sombré dans l’anthropomorphisme de bon aloi en général, dans ce genre de travail. Les taupes sont des taupes, elles vivent comme le feraient des taupes (je suppose) si elles étaient intelligentes.
Malgré cela, Horwood a largement profité des avantages de ce type de littérature pour se permettre de proposer à ses lecteurs un certain nombre de réflexions qui sont parmi les grands questionnements de l’humanité tout en évitant avec soin de nous donner des réponses toutes faites.
Le sens de la vie, la mort, le destin, le hasard, ces taupes se posent toutes ces questions.
Il nous parle aussi de dictature, de théocratie, de fanatisme, de raison. Renouant avec les fables de notre bon Lafontaine, il prend pour prétexte les turpitudes d’un peuple imaginaire de taupes pour pointer du doigt nos divers travers, et il y arrive assez bien.
Vous direz que j’en rajoute, mais en plus, les histoires d’amour et les grands sentiments y sont exprimés avec force. Chose assez rare dans la Fantasy qui est plutôt un truc de Garçons quand même.

On échappe rapidement au syndrome Walt Disney, avec plein de gentilles bestioles toutes « meugnones ». Et ce dès la première bataille, brutale, sanglante, sans la moindre complaisance. Parce que ces taupes là, même si elles aiment à gambader dans les champs et renifler les jolies fleurs, elles saignent, elles souffrent, elles sont cruelles entre elles, sournoises, lâches et mesquines. Les coups de griffes font mal, les blessures s’infectent, les taupes agonisent et meurent.
Mais ces taupes aiment, ont de la compassion, du courage et une foi. Elles croient, pour la plupart dans la « Pierre » ; en fait une sorte de divinité immanente qui s’incarne dans certaines pierres et dont l’amour n’a pas de limite, et la sagesse pas de bornes.
Ce roman contient une part très mystique, mais il parvient, avec une grande habileté,  à éviter l’écueil du texte religieux en laissant toujours un doute sur l’interprétation des événements. Du coup, on palpite et on attend la suite des aventures.

C’est là un des plus grands défis de ce roman. Nous faire vivre cette longue histoire aux cotés des héros comme une épopée médiévale. Et je dois dire que William Horwood s’en sort remarquablement bien. Le style, bien que très descriptif, reste léger, très vivant ; les personnages sont abordé avec soins et sans manichéisme excessif. Il y a bien ici et là quelques longueurs, mais on les oublie bien vite tant on se sent pousser une fourrure et des pattes de taupe.
Il faut juste accepter au départ l’existence de la « Taupitée » pour profiter pleinement de cette fastueuse geste héroïque où l’émotion la partage à l’aventure.

Il y a peu de temps, on m’a demandé si cela conviendrait à un ado. Je réitère ici ma réponse : oui, à la condition que ce soit un lecteur aguerri. Je rajouterai qu’il devrait aussi plaire aux filles par sa dimension poétique, sentimentale et positive.

Je tiens quand même à préciser un point qui a son importance : j’ai lu ce livre en version originale (anglaise). Bien que je vous parle ici de l’édition française, je ne l’ai pas lue je ne peux donc garantir que la traduction restitue fidèlement le style de départ. J’ai lu ici et là sur le net des billets qui trouvaient la traduction médiocre.

Ceci étant dit je retourne dans mon terrier me croquer deux trois vers de terre bien grassouillets, comme dirait une taupe de mes amies !

Hugues

Extrait :


Tu verras Rébecca, que parfois il y a des taupes que tu peux aider et qui paraissent ne pas en valoir la peine. Tu te demandes pourquoi tu tentes quelque chose. Elles sont faibles ou égoïstes, ou stupides, ou paresseuses. Mais tu verras que si tu leur donnes ton aide, autrement dit ton amour, elles te le rendront souvent d'une manière à laquelle tu n'aurais jamais songé. C'est comme cela qu'agit la Pierre tu comprends ? C'est ça. Des années après ces mêmes taupes réapparaissent, tu ne les attends pas, et brusquement le mystère s'éclaircit. Tu saisis pourquoi elles ont traversé ta galerie et fait un petit tour dans ta vie. Et alors il devient clair pour toi qu'il existe des forces qui te dépassent, sur lesquelles tu n'as aucune prise, et devant lesquelles on doit se sentir tout petit. C'est une chose que beaucoup d'entre nous ont oubliée. Ne l'oublie jamais.


Le Bois Duncton de William Horwood - Éditions Librairie L'Atalante collection La dentelle du cygne - 747 pages