Quand le récit commence, on est aux côtés d'une troupe vagabonde qui découvre ébahie quelques légumes abandonnés. Parmi eux, Vivien ne passe pas inaperçu : avec son grand manteau orange quand les autres ne sont couverts que de guenilles, il semble cacher un étrange secret. Mais à peine le lecteur a-t-il le temps de se familiariser avec ce groupe que l'auteur change de décor, et nous plonge dans le chômvil de Marseille, un bidonville à ciel ouvert. Piéro le Barde vient de faire la plus belle erreur de sa vie : contre un repas chaud et un peu d'alcool il a signé un contrat d'engagement pour les chantiers de l'espace. Heureusement pour lui, il arrive à fausser compagnie au recruteur, mais il sait qu'il doit maintenant quitter au plus vite la ville. Dans sa fuite, il emmène avec lui Laure, jeune orpheline aveugle et sans ressources.

Michel Grimaud (pseudonyme de Marcelle Perriod et Jean-Louis Fraysse) a imaginé ici un monde où les chômeurs seraient plus nombreux que les actifs et où la nature serait totalement dévastée par la pollution. Les villes sont en ruines, l'ordinateur est roi et le quotidien déshumanisé. Les seuls emplois encore possibles se trouvent dans les usines nucléaires; mais à cause des radiations, on ne peut espérer y travailler plus de quelques heures dans l'année. Et d'ailleurs, il faut vraiment être au bout du rouleau pour accepter une telle offre. À l'abri dans leurs tours de verre, quelques hommes décident du devenir de la population en fonction de données financières et économiques.

C'est un roman pour grand adolescents (ou pour ceux qui ont su le rester) qui allie avec intelligence la forme et le fond. L'univers proposé est tout à fait crédible et le rythme du récit permet de maintenir le suspense tout en laissant le temps de la réflexion. En fait, ce roman aurait mérité un traitement un peu plus long, en particulier la dernière partie. Michel Grimaud installe un nouveau décor, de nouvelles problématiques... mais conclut son récit avec une rapidité déconcertante, quand on aurait aimé qu'il étoffe et approfondisse. Une cinquantaine de pages supplémentaires n'auraient pas été malvenues et j'ai regretté une fin par trop expéditive.

Par contre, il est très intéressant de noter que ce roman a été publié pour la première fois en 1980. À cette date les chômeurs en France ne représentaient que 5% de la population et la catastrophe de Tchernobyl n'avait pas encore eu lieu. Ré-édité 30 ans plus tard, Le Recruteur n'a pas pris une ride.

Laurence

Extrait :

A vingt-cinq ans, Piéro le Barde connaissait les chômvils de toute l'Europe. Les baraques de planche et de carton de Bonn, le cimetière de tramway de Bruxelles, la pyramide de trains parisienne, les poubelle de Rome et tant d'autre bidonvilles, décharges, repoussoirs, dans lesquels on cantonnait les chômeurs et que les autorités désignaient sous le nom de Camps Provisoires. Un jour, on perdait son travail, alors la ville entamait un processus de rejet. On échangeait son appartement pour des logements de plus en plus modestes, on attendait jusqu'au bout l'emploi qui vous ferait remonter la pente… Puis, après quelques mois, un matin, on se retrouvait expulsé du dernier taudis en date, un policier vous escortait jusqu'à la zone de tolérance, aux portes du chômvils le plus proche. L'accès des cités vous était désormais interdit.


Le recruteur de Michel Grimaud - Éditions Mijade - 190 pages