Contrairement à l'œuvre de Victor Hugo, Les sept pendus énonce très clairement les motifs des condamnations : ainsi, les deux premiers chapitres, qui ont valeur de prologue, nous apprennent que 5 d'entre eux font partie de la même bande d'anarchistes qui voulait assassiner le chef de la sûreté. L'attentat avorté, ils sont aussitôt jugés, condamnés à la peine capitale et mis à l'isolement en attendant le jour fatidique. Dans des cellules proches des leurs, deux autres hommes attendent le même sort. Ceux-là sont des condamnés de droit commun, des meurtriers - professionnel ou d'occasion.
Après le jugement, deux d'entre eux – Sergueï et Vassili – reçoivent la visite de leurs parents mais les réactions de ces derniers, diamétralement opposées, renforce la solitude dans laquelle chacun se trouve. Seul le carillon de l'horloge semble les réunir tous :
« Dans les cellules où les condamnés étaient enfermés chacun de leur côté, ce carillon était la seule chose que l'on entendait, de jour comme de nuit. Il s'infiltrait à travers le toit, à travers l'épaisseur des murs de pierre, faisant vibrer le silence, et disparaissait imperceptiblement pour revenir ensuite, toujours aussi imperceptiblement. Parfois, on l'oubliait, on ne l'entendait pas ; parfois, on l'attendait désespérément, ne vivant plus que d'une sonnerie à l'autre, ne se fiant plus au silence. »
Léonid Sergueï s'invite alors dans la cellule de chacun des prisonniers pour nous livrer leurs dernières pensées. Et ce n'est pas tant la mort qui les effraie tous – après tout, on doit bien mourir un jour où l'autre –, que de connaître l'instant où elle aura lieu. Chacun réagira à l'aune de son caractère, de son vécu, et ce sont sept portraits poignants qui se dessinent peu à peu. Il y a Tania Kovaltchouk, qui oublie son propre sort et ne s'inquiète que de l'état moral de ses camarades ; Moussia qui pense au départ ne pas mériter l'honneur d'une condamnation à mort puis qui réalise qu'elle passe ainsi à la postérité : « On va m'exécuter mais je ne mourrai pas. Comment pourrais-je mourir, alors que je suis déjà immortelle ? » ; Sergueï qui croit aux valeurs salutaires de l'effort physique ; Vassili qui sombre dans la folie et la terreur la plus totale ; Werner qui découvre la pitié et la tendresse ; Michka, la brute épaisse et Ivan qui répète tel un mantra « Il ne faut pas me pendre ».
Et puis, le jour de la pendaison arrive et les sept condamnés sont réunis pour leur dernier voyage.
C'est un texte saisissant et si on ne peut bien sûr s'empêcher de faire le parallèle avec Le dernier jour d'un condamné, il n'en est pas pour autant une pâle copie ou une redite inutile. Le récit de Léonid Andreïev complète admirablement bien l'œuvre de Hugo. Certes Léonid Andreïv ne prend jamais explicitement parti pour l'abolition de la peine de mort et la fin du texte peut sembler plus ambigüe que le récit de Victor Hugo. Mais ce que Léonid Andreïv met ici en évidence c'est l'horreur de l'attente et la réaction des protagonistes face à l'inéluctable. Ces hommes et femmes, dont aucun ne regrette son geste, savent qu'ils vont mourir, que le temps qui reste n'y changera rien, et c'est cette limite temporelle, cette attente insoutenable qui est au cœur du récit. Les sept pendus offre une étude psychologique bouleversante de l'être humain face à la mort programmée.
Laurence
Extrait :
Quand il [Sergueï] se réveilla dans sa cellule avec la conscience très nette que tout était fini, qu'il n'avait plus devant lui que quelques heures d'attente dans le vide, plus la mort, il éprouva une impression bizarre. Comme s'il se retrouvait tout nu, mais c'était une nudité étrange : on ne lui avait pas seulement enlevé ses vêtements, mais aussi le soleil, l'air, les bruits et la lumière, les actes et les paroles. La mort n'était pas encore là, mais la vie, elle, n'était plus là.
Les sept pendus de Léonid Andreïev -
Éditions Sillage - 128 pages
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