Après Laver les ombres de Jeanne Benameur, c'est le deuxième roman que je lise qui aborde le thème de la danse. Les deux romancières l'ont envisagé chacune à sa manière. Alors que le traitement de Jeanne Benameur pouvait paraître abstrait, idéalisé, celui de Nancy Huston est corporel, concret. Les deux m'ont semblé très intéressants.

On pourra ainsi en quelque sorte assister à des séances de travail de Lin avec ses danseurs, découvrir des esquisses de nouvelles chorégraphies en train de se faire, observer des contraintes de tous ordres s'exercer autour d'une création.

Cette entrée dans la danse est racontée via le destin individuel de Lin. Au fil des pages, on comprendra avec elle l'auto-censure qui s'est exercée sur elle, la charmante maîtresse de maison d'un professeur d'université. On découvrira aussi d'autres de ses fragilités, qu'elles soient d'ordre physique (son corps) ou affectif (ses deux filles). La maternité joue un rôle très important dans ce roman : Lin est possédée par ce thème qu'elle exprime dans ses chorégraphies.

La vie et les peurs de Lin feront souvent écho à celles de quelques grandes figures de la danse. Parmi les allusions, on trouvera par exemple des références à la vie d'Isadora Duncan et à celle de Nijinsky telle qu'il la racontait dans son journal.

Quand j'assiste à un spectacle et que mon esprit déconcentré par une imperfection quelconque délaisse momentanément l'action, j'essaie de ne jamais perdre de vue que dans ces costumes ont pris place des hommes et des femmes qui ont fait de nombreux sacrifices pour pouvoir s'exposer ainsi en pleine lumière. Lire ce roman est une façon de ne pas l'oublier, et bien d'autres choses encore !

Joël

Du même auteur : Passions d'Annie Leclerc, Les Variations Goldberg, Lignes de faille.

Extrait :

Il y a en Lin une nouvelle danse, qui meurt d'envie de naître. Et comme toujours le fait de l'approcher, de laisser proliférer les images, la rend malade de peur. Susie sa jeune danseuse noire pourrait jouer la fille. Elle sera endormie dans un coin de la scène, enroulée dans des mètres et des mètres de tulle blanc très pur. Un bébé emmailloté... Puis elle se lèvera et se balancera, tournoyant lentement sur elle-même pour dérouler le tulle qui deviendra son voile de mariée. Maintenant elle n'est plus un bébé mais une jeune femme et elle se débat, ligotée, emprisonnée par le voile, une momie bandée vivante pour le mariage. Elle se tord dans tous les sens, la bouche ouverte en un interminable cri silencieux. Et Avital qui joue la mère se précipitera à ses côtés, pressera le corps de sa fille contre le sien et se balancera avec elle tout en l'enlaçant. Les cheveux longs de la mère se prendront dans les pans de tissu — tout cela très lent, très lent —, des larmes ruisselleront le long de ses joues pour se mélanger à la chevelure et au tulle... Mais peu à peu la fille se détache, s'arrache à la mère et se met à danser pour elle-même, libre et souveraine, laissant Avital toute seule tandis que le voile s'enroule autour de son corps à elle, la serrant de plus en plus étroitement... son linceul. Elle s'affaisse sur le sol et meurt.
Ceci est l'une des scènes, ça pourrait être très beau.
Le tout doit être prêt, Dieu sait comment, dans un mois.

La virevolte
La Virevolte de Nancy Huston - Éditions J'ai lu - 190 pages