Si certains trouvent que l'intrigue de ce roman est simple, il faut admettre qu'elle est menée de façon magistrale et soutenue par un travail d'écriture, un flot d'idées humanistes irréprochables. Laurent Gaudé a, je trouve, une écriture remarquable : fluide, puissante, claire. Elle porte ses idées comme le ferait la voix d'un conteur qui souhaite que ses propos imprègnent au plus profond le cœur de ceux qui l'écoutent.
Méprisé par le roi, son père, Tsongor quitte les terres de son enfance. A force de courage, de ténacité, de décennies de batailles sanglantes, d'exercice du pouvoir d'une main de fer, Tsongor va devenir roi d'un immense empire.
Des années plus tard, aux côtés de ses fils, le roi Tsongor marie sa fille bien-aimée, la belle Samilia. Elle est promise à Kouame, le prince des terres de sel. La procession de cadeaux, d'offrandes d'une richesse inimaginable annonce son arrivée prochaine. Ce sera un grand mariage. Tous ont le coeur en joie. Mais un grain de sable entre aussi dans la danse des festivités. Il s'appelle Sengo Kerim. Longtemps, il a vécu au palais de Tsongor, accepté comme un de ses fils. Longtemps il a joué avec Samilia et un jour, l'adolescente a promis de se marier avec lui.
Le jour où Kouame arrive devant le roi Tsongor, Sengo Kerim s'avance et annonce aussi ses prétentions sur la jeune femme. Le roi va devoir choisir entre les deux prétendants. C'est inéluctable, il doit choisir. Avec son vieux et fidèle serviteur, Katabolonga, il sait que les temps heureux sont révolus. Tsongor ne peut se résoudre à choisir un mari pour sa fille. Il opte pour la mort, respectant par là un vieux pacte conclu avec Katabolonga.
Leur espoir était que la période de deuil permette aux prétendants de reprendre leurs esprits. Mais cela ne se fera pas. Le Destin enclenche sa course folle et la guerre va balayer le royaume de Massala. Aux pieds de la grande ville, des milliers de vies vont être perdues pour les beaux yeux de Samilia à qui personne n'a demandé son avis. L'orgueil, la haine entre les prétendants, leur besoin d'en découdre sont plus forts. Samalia est sacrifiée. Elle n'est plus rien, juste un enjeu que l'on finit même par oublier au milieu des morts.
Le seul à échapper au carnage qui s'annonce est Souba, le dernier fils du roi. En effet, avant de mourir, le père somme son fils de parcourir l'empire et à construire des mausolées à son nom. Chacun sera une représentation de ce qu'il a été, une image de ses différentes personnalités. Ce sera également pour Souba un long voyage initiatique, plein de souffrance et de solitude.
Dès les premières lignes alors même qu'il s'agit là d'une seconde lecture, ce roman a été un choc. véritablement un choc. je me suis pris la musique des mots, le charisme de ses personnages, leur destinée, le souffle épique en plein cœur. Rares ont été les romans qui ont eu un tel impact. Le plus étonnant encore, c'est que à des degrés plus en moins forts, les autres œuvres de Laurent Gaudé continuent à avoir le même effet. Je songe encore à mon état après la lecture de Dans le nuit Mozambique ou La porte des enfers, Cris ou même ses pièces de théatre. C'est une écriture très forte, des propos qui touchent immédiatement.
Résonnent encore les mots de Samilia, la superbe : « Je n'ai rien voulu, pensait-elle, je n'ai fait qu'accepter ce que l'on m'offrait. Mon père me parlait de Kouame et avant même de le voir je l'ai aimé. Aujourd'hui mes frères se préparent à la bataille. Personne ne me demande rien. Je suis là. Immobile. Je contemple les collines. Je suis une Tsongor. Il est temps de vouloir. Moi aussi, je livrerai bataille. Ils sont deux à me réclamer comme un dû. Je ne suis due à personne. Il est temps de vouloir. De toutes mes forces »
La mort est omniprésente dans ce roman, qui a la puissance digne des grandes tragédies grecques. Une histoire portée par des personnages tous, absolument tous, remarquables, denses, somptueux. On suit les vivants, les batailles sans fin, l'absurdité de cette guerre, le désarroi du roi mort devant un tel gâchis, son espoir du retour de Souba qui lui offrira enfin une mort douce et tranquille.
Un roman magnifique qu'on lit et relit comme plongé dans un autre monde. Magistralement bien écrit. Poétique dans sa sobriété, pas de grandiloquence, uniquement le mot, l'image, la personnalité ciselés au plus juste. Un de ces romans que l'on aime offrir au plus grand nombre car il touche à l'essence des hommes, leurs faiblesses, leurs grandeurs.
Dédale
Du même auteur : Ouragan, Dans la nuit du Mozambique, La porte des enfers, Onysos le furieux, Sodome, ma douce, Cendres sur les mains, Sofia Douleur, Salina, Pluie de cendres, Combats de possédés,Le soleil des Scorta, Cris, Kaboul, Médée Kali, Les oliviers du Négus,Pour seul cortège.
Extrait :
Plus aucune rumeur, plus aucun bruit de bataille ne venait interrompre le sommeil épais du roi Tsongor et Katabolonga ne parlaient plus. Il n'y avait plus rien à dire. Pourtant, le vieux roi était toujours agité. Katabolonga pensait qu'il s'agissait à nouveau de la pièce rouillée. Que Tsongor, à nouveau, était déchiré par le désir de passer sur l'autre rive des morts. Mais un jour, enfin, il parla et sa voix n'avait pas résonné depuis si longtemps que Katabolonga sursauta comme un singe apeuré.
« À mes fils, dit Tsongor, j'ai légué mon empire. Ils l'ont dévoré à pleines dents et se sont tués sur un tas de ruines. Je ne pleure pas sur eux. Mais qu'ai-je légué à Samilia ? Ni l'époux que je lui avais promis, ni la vie à laquelle elle avait droit. Où est-elle aujourd'hui ? De Samilia, je ne sais rien. Elle était ma seule fille et n'a rien eu de moi. A Souba, peut-être, j'ai transmis ce que je suis. Mais Samilia est la part qui m'a échappé. C'est pour elle, pourtant, que j'avais le plus préparé mon legs. Je voulais lui donner un homme. Des terres. Je voulais que ma vie ait servi à cela. La mettre à l'abri. Que rien, jamais, ne puisse la terrasser. Que mon ombre de père veille sur elle et sur ses descendants. Je ne lui ai légué que le deuil. Le deuil de son père puis le deuil de ses frères, un à un, ajouté. La mort de ses prétendants. Le sac de la ville. Qu'a-t-elle eu de moi ? Des promesses de fêtes et la cendre des maisons saccagées. Samilia, c'est la part sacrifiée. Je ne voulais pas cela. Personne ne voulait. Mais tout le monde l'a oubliée. »
Tsongor se tut. Katabolonga ne répondit pas. Il n'avait rien à dire. Lui aussi avait souvent pensé à Samilia. Il s'était demandé, parfois, s'il n'était pas de son devoir d'essayer de la retrouver. Pour l'escorter partout où elle irait. Veiller sur elle. Mais il n'en avait rien fait. Il sentait, malgré la compassion qu'il éprouvait pour elle, que ce n'était pas sa place. Sa fidélité à lui était dans l'attente de Souba. Il ne devait rien y avoir d'autre. Alors comme tous les autres, il avait laissé disparaître Samilia. Et comme tous les autres, il en portait le remords. Car il sentait que cette femme était sacrée. Sacrée parce ce qu'elle avait traversée. Sacrée parce que tous, un à un, sans même s'en apercevoir, l'avaient sacrifiée.
La mort du roi Tsongor de Laurent Gaudé - Éditions Actes Sud - 205 pages
Commentaires
mercredi 7 juillet 2010 à 12h03
Ce billet me donne envie de le relire, j'ai effectivement le souvenir d'une écriture fluide et belle...
mercredi 7 juillet 2010 à 19h48
J'aime beaucoup "la mort du roi Tsongor". Pour moi c'est même le meilleur Gaudé. Je l'ai vraiment préféré à "sous le soleil des Scorta", "Eldorado" ou "la porte des enfers" que j'ai lu également. Je pense que Gaudé est surtout un conteur, fortement marqué par l'écriture théâtrale. Pour moi c'est là qu'il est le meilleur, dans ce côté lyrique ou même onirique. Merci de l'avoir mis en avant.
mercredi 7 juillet 2010 à 20h55
Il ne faut pas hésiter, Al. C'est vraiment une histoire, un conte que l'on peut lire, relire à volonté. A chaque lecture, on découvre autre chose.
Alice-Ange, même si j'aime beaucoup tous les écrits de l'auteur, il est vrai que ce titre a ma préférence absolue, suivi de près par Dans la nuit Morzambique.
Mais bon, ils ont tous leur spécificité. Donc pas de jaloux !
mercredi 7 juillet 2010 à 23h48
Si je ne l'avais déjà fait, ton billet me donnerait une furieuse envie de lire ce roman!
jeudi 8 juillet 2010 à 07h56
Merci beaucoup, Kali
Je peux t'assurer que c'est bon encore à la relecture 
samedi 10 juillet 2010 à 09h19
Plus qu'une tragédie grecque, La mort du roi Tsongor est pour moi une véritable épopée, dans la lignée des Iliade, Odyssée ou Enéide. Cette guerre, tous ses personnages différents, entre ceux aux pouvoirs magiques et ceux qui errent dans le désert sont pour moi vraiment dans cette lignée. Une dimension mythologique qu'on retrouve dans Cris, et dans La porte des Enfers (je ne l'ai pas lu, mais le titre donne le ton...) et je trouve, comme Alice-Ange, que c'est dans ce domaine qu'il est le meilleur. Un très, très bon roman que ce Roi Tsongor !
samedi 10 juillet 2010 à 15h01
Je n'ai rien à ajouter à tes dires, Yohan. Je suis une convaincue de longue date
samedi 10 juillet 2010 à 15h42
Oui Yohan, mais malheureusement je n'ai pas retrouvé ce souffle dans "la porte des enfers". Je trouve que dans ce dernier, Laurent Gaudé est passé à côté de son sujet. Personnellement je n'ai pas cru une minute à cette descente aux enfers, au sens propre et figuré. Me restent simplement quelques images, comme celles de ces morts qui tournent en spirale jusqu'à être engloutis dès que tous les vivants les ont oubliés. Non, décidément, c'est bien "la mort du roi Tsongor" mon préféré.
jeudi 29 juillet 2010 à 00h19
Ce que c'était bien, ce livre!! J'aime beaucoup l'écriture de Gaudé et j'ai également beaucoup aimé "Le soleil des Scorta", qui m'a beaucoup touchée, malgré les nombreux avis mitigés lus ici et là.
jeudi 29 juillet 2010 à 07h40
Karine:) ! Si tu as aimé les romans de l'auteur, je te conseille la lecture de ses pièces de théatre. Cela vaut vraiment le détour. La même plume, le même souffle dans un autre exercice. C'est très très intéressant.
dimanche 15 août 2010 à 17h13
Un livre absolument magnifique ! A lire impérativement !
(mais comme tous les Gaudé...)
lundi 16 août 2010 à 20h27
Ce n'est pas moi qui vais dire le contraire. Merci Liliba.
lundi 1 novembre 2010 à 16h50
Bonjour !
J'ai un questionnaire sur ce livre 'La mort du roi Tsongor'. Serait il possible que vous m'aidiez svp ? car j'ai lu le livre il y a 7 ans et je ne me souviens pas de tout et je n'ai pas le temps de le lire cette année.
J'aimerai savoir :
- quel est le dilemme des personnages principaux qui expliquerait leur violence antérieure ?
- L'héritage du père de Tsongor à Tsongor
- Que découvre Tsongor à la fin de sa vie ? Sur regrette t il ? et commenter la phrase 'de père en fils, rien que de la poussière et du mépris ! par cette haine des pères ils auraient été mes fils"
- la malédiction du clan Tsongor ? les 2 éléments perturbateurs et quel est l'autre nom que l'on peut lui attribuer ?
- Comment un fils se construit-il ? (en parlant de Souba)
Merci a tous !
(si possible je voudrai bien une réponse rapide :$) merciiiii
lundi 1 novembre 2010 à 19h03
A Elodie : dommage pour vous, mais j'ai également lu ce livre il y a très longtemps, et de toute façon je pense que vous pouvez vous plonger dans ce livre pour trouver les réponses à votre questionnaire : il est très court, et comme il est superbe, il se lit très vite...
lundi 1 novembre 2010 à 19h43
Merci Liliba
j'avais oublié de répondre à ce commentaire mais tu as très bien résumé ma pensée. De toute façon, nous ne donnons jamais de réponses aux devoirs scolaires sur Biblioblog. 
lundi 1 novembre 2010 à 21h36
Ce n etait point la peine de repondre si vous n en aviez pas l envie :). Je suis en bts et je n ai pas besoin de faire de fiche de lecture qui compte pour mon apprentissage a la lecture :). mais pas de souci je sais que je ne m adresserai plus a ce genre de personne! et puis j aime le principe que vous sachiez que j ai le temps de le lire lol! Alle bonne continuation a vous!
mardi 2 novembre 2010 à 08h09
Elodie : normalement votre commentaire aurait dû être supprimé ( cf avertissement ) . Au lieu de cela nous avons eu la gentillesse de vous répondre alors que je suis bien placée pour savoir que "La mort du roi Tsongor" est au programme de français de BTS (thème : générations). Vos questions sont clairement celles d'un devoir. Quant à avoir le temps de lire, on le trouve toujours (en lieu et place d'une soirée télé par exemple). Sur ce, je considère la conversation close.
mardi 2 novembre 2010 à 09h29
;-))
vendredi 5 novembre 2010 à 11h54
J'ai beaucoup aimé ce roman,tres enrichissant et émouvant.
jeudi 2 décembre 2010 à 18h09
Superbe histoire contée à la manière des griots Maliens. Elle fait complètement voyager à qui veut bien se laisser aller. Le style est simple (écriture primitive, phrases courtes qui captivent comme un chant mélodieux, une éloge à la sagesse). Dans cette dramatique découverte de 6 chapitres passionnants, on tourne les pages sans temps morts et on y trouve l'aspect sanguinaire de l'homme (tribus étranges).
L'auteur nous mène vers une réflexion profonde sur la nature de l'homme (ses incertitudes, ses infidélités, ses craintes, ses penchants guerriers) grâce aux différents personnages. Mais aussi, nous décrit les différents visages d'un seul homme (et sa part d'ombre), la rédemption de ce roi par son plus jeune fils (transmission de la vie, voire de la sagesse), le repentir d'avoir conduit sa propre vie royale par le désir saignant, le rude pouvoir et la haine cruelle.
Paradoxalement, on en sort émerveillé (recherche de la vérité de Souba) et dégouté de l'instinctive masculinité qui en découle).
jeudi 23 décembre 2010 à 13h11
un peu je dirai meme trop triste et trop poetique avec une coulee de description et ca le rend tres nul comme livre
jeudi 23 décembre 2010 à 13h12
mais merci pour le resumee c'etait interessant
jeudi 13 octobre 2011 à 21h45
Bien sûr, l'écriture est impeccable mais... j'ai eu du mal à m'intéresser à cette histoire et ce style solennel. J'ose à peine le dire... Je me suis ennuyée.