Depuis la révocation de l'édit de Nantes en 1685, nombre de Languedociens avaient dû se convertir malgré eux au catholicisme. Si les dragonnades furent particulièrement virulentes dans cette région, les Cévenols, fervents protestants, continuèrent de pratiquer leur culte dans l'ombre des forêts. Avec le temps, on vit apparaître de plus en plus d'« inspirés » et de « prophètes » ; des hommes et des femmes qui se disaient visités par Dieu et encourageait la foule à la révolte.
Quand le rideau se lève, nous sommes au cœur de la forêt cévenole, le 24 juillet 1702, quelques heures seulement avant l'assassinat de l'abbé Du Chaila. Cet inspecteur des missions catholique s'est montré particulièrement méticuleux dans sa fonction : arrestations, tortures, exécution etc... La population terrifiée, cherche secours auprès des inspirés. Le pays gronde et menace et il ne faudrait pas grand chose pour mettre le feu aux poudres. Peut-être le retour d'un ancien pasteur, Joseph Bastide, à la recherche de sa fille qui pleure du sang ; peut-être l'inconscience de deux frères Samuel et Salomon, qui rêvent de gloire et d'exploits ; peut-être le discours d'Abraham, prophète craint et respecté à la parole si vive ; sans doute aussi la bêtise et le fanatisme d'un jeune Capucin persuadé de voir le diable incarné en chaque protestant. Au milieu de toute cette rage et cette haine, l'amour d'une mère semble tellement dérisoire. Et pourtant, Elise va tout tenter pour sauver les siens.
La pièce est construite en court tableaux qui se succèdent sur un rythme rapide - un peu trop peut-être - et Lionnel Astier jongle en permanence entre tragédie et comédie ; et c'est l'humour du désespoir et de l'absurdité des hommes qui transpire tout au long de la pièce. A travers sa Nuit des camisards, il ne cherche pas à ériger un tableau héroïque des Camisards mais dénonce bien au contraire, le intolérance religieuse de quelque côté qu'elle soit, et les prophètes protestants sont tout aussi haïssables que les abbés catholiques. Au milieu de tous ces hommes, la voix d'une femme s'élève, la voix universelle d'une mère qui est prête à tout pour protéger ceux qu'elle aime. Elise s'est convertie, non par conviction mais pour avoir la paix :
Je crois en Dieu, c'est ça qui compte. Lequel, ça me regarde. Moi, avec Dieu, je m'arrange. Je lui parle, il m'écoute, on se comprend. On te l'a dit que j'allais à la messe ? Et ben, et alors ? Il vaut mieux la messe que la guerre. Le jour, je vais à l'église et je fais comme on veut, et la nuit quand je rentre chez moi, je prie à ma manière ! Qu'est-ce que ça me fait ? Ils sont tous là à ne pas vouloir de la croix, des idoles et de l'hostie ! Ils en ont tous après cette hostie, l'hostie ! L'hostie ! C'est bien des histoires pour un biscuit sec ! L'hostie, tu l'avales et tu penses à rien. Et si tu veux pas l'avaler, tu la recraches sur le chemin. Ça mérite pas une guerre.
Malheureusement, c'est bien connu, les hommes ne savent que rarement écouter la sagesse féminine. Lionnel Astier respecte donc le cours de l'Histoire et l'abbé se fera bien assassiner à la fin de la pièce pour que puisse commencer la guerre de Camisards.
Si la pièce nous raconte un moment clé de l'histoire française, le propos n'en est pas moins universel et actuel. À travers la voix d'Élise se sont toutes les mères d'hier et aujourd'hui qui nous parviennent. Toutes ces femmes qui ont lutté contre la barbarie des hommes et le fanatisme religieux. Mais ce sont également les voix des opprimés, de ceux qui ont pris les armes pour ne pas mourir.
Cette pièce a été jouée tout le mois de juillet l'an dernier dans le décor naturel du Parc National des Cévennes près de Saint-Jean du Gard. Je regrette de n'avoir pu assister à l'une de ces représentations, mais j'ai vu qu'elle devait être rejouée à l'été 2011. J'essaierai donc cette fois de m'y rendre car je suis très curieuse de redécouvrir ce texte dans un cadre aussi somptueux et inhabituel pour une représentation théâtrale.
Laurence
Extrait :
SALOMON (Peïré s'avance. Il est très sale) : Il y a pas longtemps, ce frère que vous connaissez tous a reçu, par inspiration divine, un ordre extraordinaire qui nous a beaucoup surpris. Il lui a été défendu de se peigner pendant plusieurs semaines et il lui a été dit que ce signe lui serait expliqué.
ELISE : Déjà qu'il se lavait pas souvent.
SALOMON : Si c'est pour déparler, pourquoi tu viens ici ?
ELISE : Je viens te voir un peu figure-toi ! Sinon crois moi que je m'en passerais. Risquer ma vie pour entendre ça! Laisse parler Abraham.
SALOMON : Abraham parle seulement quand l'Esprit commande.
ELISE : Dommage que tu ne fasses pas pareil.
SALOMON : Reste ou va-t-en, mais respecte le témoignage de l'Eternel.
ELISE : Sûrement que je respecte.
Peïré étend un drap blanc au sol et se met à genoux.
SALOMON : Alors bon lui, évidemment il a religieusement obéi à l'ordre et aujourd'hui ça n'a pas manqué, l'esprit lui a parlé de nouveau et il lui a dit que la date limite était arrivée. Et il a reçu enfin le commandement de se peigner. (À Peïré) C'est ça, hein ?
PEÏRÉ : Ouais, voilà ouais.
SALOMON : Et il lui a été dit par inspiration divine qu'autant de poux il tomberait de sa tête, autant de ministres reviendraient dans le pays pour lui prêcher l'Évangile, pour faire marcher les sacrements comme avant la persécution et pour la victoire de la liberté de conscience.
La nuit des camisards de Lionnel Astier -
Éditions Alcide - 164 pages
Commentaires
lundi 19 juillet 2010 à 13h39
Lionnel Astier et non Lionel ... Merci de faire connaître cette pièce (et ce livre). Moi aussi, je me promets d'être là l'an prochain.
dimanche 25 juillet 2010 à 15h28
Merci Mireille pour votre vigilance ; la coquille est corrigée.