Quelque part près de Nashville, trois hommes creusent à la recherche d'un hypothétique trésor. Le soleil cogne, les coyotes rôdent et les légendes hantent l'imaginaire collectif. Brown's Bridge est une petite ville typique du fin fond de l'Amérique si ce n'est qu'elle a abrité il y a quelques années le célèbre Jessie James. On dit qu'il y a enterré son argent. Il n'en faut pas plus au Musicien pour se lancer dans une quête improbable, accompagné du narrateur et de Dave, un type qui prétend communiquer avec les morts. L'ombre nous gagne, nouvelle qui ouvre ce recueil, est assez déconcertante : Lydia Peelle passe du coq à l'âne, use d'une écriture très fragmentée, et le lecteur cherche au départ la cohérence dans ces compilations de souvenirs et impressions. Mais le style est ici au plus près du narrateur et rend parfaitement bien la moiteur de ces paysages dépeuplés.
Toujours dans le Tennessee, la nouvelle suivante, La saison des naissances, met en scène le jeune Charlie. Il a pris la route pour fuir son père et ses souvenirs et atterrit malgré lui dans la ferme de Lucy. Contre des travaux dans l'exploitation, elle lui offre le gîte et le couvert. Mais ces deux solitaires peinent à se comprendre. Bon an mal an, ils s'apprivoisent peu à peu, mais il y aura toujours ceux qui restent et ceux qui fuient.
Si Lydia Peelle nous affirme que Ceci n'est pas une histoire d'amour, rien n'est finalement aussi simple. C'est ce que la narratrice tente de raconter à sa fille en plongeant dans son passé. Nous sommes cette fois en Géorgie; la narratrice, toute jeune adulte, travaille dans un bar et tombe sous le charme du ténébreux Tommy, « un type de quarante-cinq ans qui vivait comme un gamin de dix-huit ans ». À bord du bateau de ce dernier, la narratrice va passer un été inoubliable, mêlé d'alcools, de photos, de légendes et de musique.
Nous voilà déjà au milieu du recueil, et la nouvelle éponyme nous propose effectivement une respiration bienfaitrice. Nous quittons la fournaise pour la neige et le froid citadin. La narratrice, à peine remise d'un divorce, rencontre un vieil herpétologiste qui lui fait découvrir son univers : serpents, tortues, caméléons etc. Toutes ses créatures sont bien à l'abri dans le laboratoire surchauffé du scientifique, et la narratrice en profite pour faire une pause salutaire dans un quotidien pour le moins inconfortable.
Retour dans l'étuve du Tennessee pour Les tueurs de mules. Là encore, le désenchantement est au rendez-vous. Le narrateur nous conte la jeunesse et les désillusions amoureuses de son propre père. Les machines font leur apparition dans les fermes, les mules envoyés à l'abattoir et les garçons sont tiraillés entre leurs idéaux amoureux et la réalité.
Et puis, dans le grand sud, ll y a aussi ces légendes de bêtes monstrueuses qui hantent les forêts. Les habitants d'Highland City sont persuadés qu'une panthère attend son heure pour attaquer les Hommes. La rumeur gronde aussi fort que l'orage menace. Pourtant, Jack, empailleur de profession, ne semble pas inquiet. Une douleur imaginaire, liée à l'amputation de sa jambe, lui paraît bien plus préoccupante. Et si malgré tout les villageois avaient raison…
Dans Sweethearts of the rodeo, Lydia Peelle fait une halte dans un ranch. Les deux jeunes héroïnes occupent leur été en s'occupant des chevaux de ces dames et en montant chaque après-midi deux poneys dociles. Mais « cet été-là, la mort été omniprésente; sur la route, dans les bois ou dans les galeries qui mitaient les fondation de la grange ».
Enfin, ne vous fiez pas au titre de la dernière nouvelle, L'instant de tranquillité suprême, car comme toujours la tranquillité n'est qu'une leurre. Le narrateur, forain, a fait étape dans l'Illinois pour vendre ses babioles. Mais la météo menace, l'orage s'annonce d'une extrême violence. En attendant, chacun poursuit son bonhomme de chemin et tente de conserver les apparences.

J'ai découvert ce recueil de nouvelles lors du dernier Salon du Livre. Immédiatement séduite par ce grand aplat de bleu sur la couverture, j'avais soigneusement noté les références. C'est ainsi que quelques mois plus tard j'ai eu le plaisir de le retrouver dans la librairie de ma ville ; la météo s'y prêtant, je suis repartie cette fois avec le livre dans ma besace. Et je n'ai pas été déçue...

Chacune des nouvelles est écrite dans un style assez différent mais toujours élégant, retranscrivant parfaitement cette ambiance pesante des grandes chaleurs. Il ne s'agit pas ici de nouvelles à chute, et pourtant, les nerfs des lecteurs sont mis à rude épreuve. Il y a une certaine violence, sourde et voilée, dans les histoires de Lydia Peelle. Elle nous parle de ces paysages arides et désertiques propices à l'introspection ; de ces gens du Sud, souvent solitaires et hantés par leurs histoires respectives. Certes, il n'y a jamais de fol espoir dans ce recueil et bien souvent la mort, la nostalgie et la désillusion sont au centre des parcours de chacun. Mais c'est ce qui en fait tout le charme. Les personnages de Lydia Peelle sont profondément humains, tiraillés par leurs démons, faibles mais en même temps terriblement attachants.

Laurence

Extrait de La saison des naissances :

Les semaines s'égrènent. au thermomètre, le mercure refuse de descendre. La pluie n'arrive toujours pas. Immanquablement, chaque matin le ciel est d'un bleu cruel dépourvu de nuages. Les oiseaux ont la pépie. Les chèvres baguenaudent sur leurs pattes décharnées qu'elles déplient comme des accordéons.
« Fais chier, ce soleil », dit Lucy. Elle se tient sur le pas de la porte, en robe de chambre, une tasse de café fumant à la main. Les chats qui vivent dehors grattent à la porte pour profiter de l'ombre de la maison, tandis que les autres cherchent à fuir la fournaise de l'intérieur. Charlie, lui, s'affaire derrière Lucy. Grimpé sur une chaise il nettoie les vitres avec du vinaigre. « Fais chier, ce soleil » répète Lucy à voix basse. Puis, restant campée là à taper du pied, Charlie a l'impression qu'elle attend qu'il s'excuse, comme s'il était responsable de la canicule.

Des bienfaits de la respiration
Des bienfaits de la respiration de Lydia Peelle - Éditions Zanzibar - 254 pages