Bardas Loredan est avocat.
Il tue des gens, c'est le principe même de son métier.
Mais sa vie bascule quand il affronte un autre avocat. Ou peut-être a-t-elle basculée avant ?
Impossible d'en être sûr, avec toutes les manipulations du Principe auxquelles se livrent les Erudits.
Quoi qu'il en soit, le voici propulsé au centre d'intrigues politiques et familiales bien embrouillées.
Et par-dessus le marché, histoire d'en rajouter une couche, le voici responsable de la sécurité de la ville entière durant l'état de siège.
Décidément, il ne fait pas bon être avocat à Périmadeia, encore moins quand on s'appelle Bardas Loredan et qu'apparemment, pour une raison inconnue, celui qui vous en veut à mort est le destin lui-même…

Premier volume d'une trilogie rééditée chez Folio SF, Les couleurs de l'acier annonce justement la couleur.
Nous sommes dans un univers résolument Fantasy mais avec une certaine retenue de la part de l'auteur vis-à-vis des poncifs et clichés en tout genre. Ici, pas de bestiaire fabuleux, ni de magie tapageuse. D'ailleurs, le Patriarche (le doyen des mages) s'ingénie à expliquer à ses étudiants que le Principe n'est pas de la magie mais une philosophie. Peut-on changer quelqu'un en rat avec la philosophie ?

Le premier côté assez décalé et fort sympathique est cette trouvaille d'avocats duellistes. En effet, chaque avocat doit, après sa plaidoirie, assurer la victoire de son client les armes à la main. Ce qui fait de ce métier l'un des plus dangereux de la cité, mais aussi l'un des plus prisés car la renommée et le pouvoir sont bien sûr de la partie.
L'autre aspect, plutôt déroutant, est justement cette notion de "magie-qui-n'en-est-pas-une-mais-qui-permet-quand-même-d'en-faire"… Il n'est pas évident d'en comprendre le concept et le lecteur pas trop regardant préférera conserver son intégrité intellectuelle et suivre l'histoire plutôt que d'essayer d'approfondir une création qui s'avère assez ardue. D'ailleurs, vu la suite des événements, les explications viendront en temps et en heure dans les volumes suivants.

L'univers se cantonne à la cité dans ce premier volume, et en soi c'est bien suffisant car il y a déjà une foultitude d'éléments à intégrer et beaucoup de choses y sont liées. A tel point que Périmadeia prend elle-même la dimension d'un personnage à part entière au fil des pages. L'extrait ci-dessous abonde d'ailleurs dans ce sens.
C'est une Cité Blanche, tout en hauteur, coupée en trois sections. La Cité Basse pour le peuple, la Cité du Milieu pour les élites et l'administratif et enfin la Cité Haute pour l'autorité temporelle. Sa construction rappelle un peu Minas Tirith dans le Seigneur des Anneaux, mais fort heureusement leurs destinées diffèrent. Réputée imprenable, la ville n'est même plus défendue. Seuls quelques volontaires constituent la Garde Régulière de la Cité et permettent à peine le maintien de l'ordre. Ne comptant que sur la robustesse de leurs remparts et la crainte qu'ils inspirent à leurs ennemis, les périmadéiens vivent en toute quiétude comme les romains avant la chute. D'ailleurs, le parallèle n'est sans doute pas une coïncidence.

Les personnages sont fouillés, crédibles et intéressants. Chacun traîne son lot de casseroles et les découvertes vont bon train. Pour autant, l'auteur n'assène pas des cliffanghers à répétition et dose subtilement les révélations. Peut-être même un peu trop car on a parfois l'impression de ne pas avancer assez vite. Ou peut-être est-ce l'impression due à une lecture entrecoupée (transports en commun oblige).

En tout cas, c'est un roman d'ouverture qui tient toutes ses promesses et bien plus encore car la suite réserve encore pas mal de surprises. Le décor est planté, qui ne restera pas en place longtemps, mais suffisamment pour introduire un univers bien plus complexe qu'il n'y paraît et offrir des perspectives alléchantes pour les volumes suivants. Un roman où l'aventure le dispute aux relations humaines. Il est d'ailleurs vraisemblable que le lecteur finisse le volume et la trilogie elle-même en s'écriant : "Eh bien, quelle famille !"

Du même auteur :
Le ventre de l'arc (trilogie de Loredan tome 2), La Forge des épreuves (trilogie Loredan tome 3)

Cœur de chene

Extrait :

Il semble exister une loi perverse de la nature qui veut que plus une cité est grande, plus une rumeur se répand vite parmi sa population. Les clients du sergent rentrèrent chez eux en courant afin de s'assurer que leur maison était toujours là et n'avait pas été pillée par des sauvages vêtus de peaux de bêtes. Ils criaient la nouvelle à toutes les connaissances qu'ils croisaient. C'était l'heure où les citoyens avaient l'habitude de faire leur petite promenade digestive après le dîner : ils faisaient le tour de la place de leur quartier en famille. Il ne fallut pas longtemps pour que les rues et les cours se remplissent de gens courant dans tous les sens. Chacun criait la nouvelle à toute personne susceptible de ne pas être encore au courant. Pendant ce temps, les premiers responsables de cette panique avaient pu constater avec soulagement que leur maison était toujours debout, que leurs biens et leurs êtres chers étaient sains et saufs  ils se dirigèrent alors massivement dans les quartiers hauts de la ville pour trouver un bâtiment administratif devant lequel manifester et exiger qu'"on fasse quelque chose !"
Les rues devinrent très rapidement fort agitées : des foules se formaient, des gens couraient à perdre haleine, se bousculaient. Les rumeurs évoluaient et faisaient référence à d'illusoires bandes de sauvages successivement aux portes de la ville, déjà présents dans les murs, surgissant de l'égout principal et, enfin, semant la désolation par le fer et le feu dans le quartier des tanneurs. Comme cela arrive toujours dans ce genre de situation, d'innombrables rixes et échauffourées éclatèrent, quelqu'un réussit à mettre le feu au quartier des tisseurs de tapis, et un certain nombre d'opportunistes, plus raisonnables, profitèrent du chaos général pour faire quelques emplettes sans débourser un sou.
Le préfet de la Cité appela la garde pour restaurer l'ordre. Malheureusement, à cette heure-là, les soldats de jour étaient tous rentrés chez eux et ceux de nuit essayaient péniblement de rejoindre leur poste à travers les rues encombrées - ou s'étaient joints à la fête en compagnie de leurs amis et de leurs voisins. Le préfet dut se résoudre à faire appel au représentant de la Couronne pour qu'il mobilise l'armée régulière. Le représentant de la Couronne rappela alors au préfet qu'en dehors de la garde permanente placée sous les ordres dudit préfet il n'y avait pas d'armée régulière à Périmadeia. Après quelques instants de réflexion, le préfet, le représentant de la Couronne et leurs états-majors respectifs regagnèrent calmement leurs pénates dans la Cité du Milieu et fermèrent à clef derrière eux.

Les couleurs de l'acier (La trilogie Loredan tome 1)
Les couleurs de l'acier (La trilogie Loredan tome 1) de K.J. Parker - Éditions Folio SF - 672 pages