Philippe Fenwick est comédien. Il a joué avec des metteurs en scène reconnus, dans des pièces du Répertoire. Mais, confronté à un public qu'il trouve enfermé dans ses certitudes et des programmateurs qui se renvoient l'ascenseur, il a choisi une autre voie pour s'exprimer. Avec quelques comédiens, et une logistique impressionnante, au sein de la Compagnie du théâtre de l'Etreinte, il a choisi d'aller là où le théâtre conventionnel (et conventionné) ne va pas. Soit dans des petits villages, dans des salles improvisées dans des granges, où la rencontre avec le public ne se limite pas au seul spectacle, et se poursuit parfois tard dans la nuit autour de spécialités régionales. Mais en se déplaçant, comme les autres comédiens, à pied.

Ces marches l'ont amené à traverser la France, de Dunkerque aux Saintes-Marie de la Mer, puis de Barcelone à Bruxelles. A chaque fois, leur parcours est émaillé de multiples étapes, lieu où ils sont attendus. Enfin, pas toujours, car certains maires qui ont acheté leur spectacle 50 euros ont parfois oublié leur venue, et le public est de fait très réduit. Chaque arrivée dans un nouveau lieu est l'occasion de rencontres mais aussi d'inquiétudes, car les impondérables ne manquent pas. Certaines comédiens perdent le fil de leur marche dans les Pyrénées, parfois ce sont les villageois qui s'opposent à la représentation d'une pièce dans leur église.

Si les conditions de travail des comédiens semblent honnêtes, avec à chaque étape l'installation et le démontage des décors par toute une troupe d'assistants ou de compagnons rencontrés au bord de la route qui les suivent pour quelque temps, leurs conditions de vie sont plus modestes. Ils dorment sur des lits de camp, souvent dans la salle communale ou le foyer rural où ils ont joué, dans des endroits parfois très petits.

On ressent chez l'auteur une forte envie de vivre autrement le théâtre. Il a une dent contre les théâtres fermés sur eux-mêmes, qui ne vivent que par les venues des élèves poussés par leurs professeurs ou leurs abonnés qui se recrutent presque exclusivement chez ces derniers. Ils fustigent les programmations qui écartent le public non habitué des lieux, et qui ne viendra pas, intimidé par l'endroit ou peu attiré par des spectacles qui ne lui parle pas. Philippe Fenwick en profite également pour prendre son temps, loin de la folie et de la rapidité ambiante, et se régale des paysages de l'Ariège ou de la Lozère. Si une pointe de rusticité lui vient parfois, il réalise rapidement que ce qu'il décrit est peu viable dans des régions désertées par les commerces et les services publics.

Un journal de voyage, non chronologique, qui incite à réfléchir à notre position de spectateur, surtout pour des habitués de la scène. Philippe Fenwick a en tout cas décidé de poursuivre dans cette voie, puisqu'il a décidé de monter un nouveau projet qui ira de Brest à… Vladivostok ! Un fort beau voyage en perspective.

Yohan

Extrait :

Ariège I

Aujourd'hui sept heures de marche sont à accomplir pour rejoindre notre théâtre. Derrière moi, le bourg dans lequel nous avons joué hier s'efface sous la poussière inspirée par nos pas. Nous sommes à la lisière de la Garonne encore mâtinée d'Ariège. L'aube de notre soir se trouve à six heures de voyage. Quel jour sommes-nous ? Mardi. Peu importe. J'avance sans calendrier en tête. Semaines et mois n'ont plus de sens. Je pense alors à tous ceux qui sont enchevêtrés dans les bus et les métros des grandes métropoles pour aller s'enfermer dans je ne sais quels usines ou bureaux. Une masse informe à qui l'on demande de travailler plus et plus longtemps. Être là dans ces montagnes est un luxe  loin du nouvel opium de nos hommes politiques qui nous font croire que la survie se trouve dans la besogne. Quelle vie on nous prépare ! Travail : on passe. Retraite : on attend que ça passe. Rien de plus jusqu'à la mort.

Un théâtre qui marche
Un théâtre qui marche de Philippe Fenwick - Éditions Actes Sud Le Préau - 157 pages