Contrairement à sa première pièce Parle-moi d'amour, Le paquet est sous-titrée : pièce pour un homme seul. En effet, il s'agit là d'un long monologue d'un homme, dont on ne connaîtra jamais le nom. Âgé de la cinquantaine, pauvrement vêtu, il semble bien fatigué. Cet homme arrive dans un square et s'approche d'un banc. Il vérifie qu'il est seul, que personne n'apparaît dans les environs. Il se méfie car depuis tout petit, à l'école déjà, il ne pouvait jamais être seul. Il était aimé de tous et de tout de monde. Un phénomène qu'il ne s'explique pas. Et même si cela lui a été souvent bénéfique, comme lors de son service militaire, il a parfois souffert de ne pouvoir être seul un moment. Là, on se demande à qui on a affaire. Étrange personnage !
L'homme s'en va, puis revient en traînant un gros paquet, qui semble bien lourd, grand comme un corps, qui semble aussi lourd qu'un corps. La première interrogation qui vient à l'esprit est : mais que peut-il y avoir dans ce paquet ?

Une fois installés, le paquet et lui, l'homme se met à parler au public et raconte des brides de sa vie. Il parle, parle, comme s'il vidait son sac, tout ce trop plein accumulé depuis des années. C'est un mélange assez curieux, surprenant fait de bouts de vies, dont on ne sait d'ailleurs pas s'ils sont véridiques ou pas, de formules publicitaires, entremêlés d'une litanie de clichés commerciaux, de messages que l'on a tous entendus une fois dans notre vie. Comme celui-ci : votre chef de bord. Nous sommes heureux de vous accueillir dans ce TGV n°8592 à destination de Lyon Perrache. Si vous avez oublié de composter votre billet…etc »

Tout cela n'est qu'un prétexte pour l'auteur de pointer les travers, les dérives de notre société, la mondialisation permanente qui phagocyte les êtres d'ici ou d'ailleurs, leur formate l'esprit et l'entendement. Au final, l'être humain disparaît peu à peu, ne reste qu'une machine à acheter, à croire les fausses promesses des politiques. Il n'est plus qu'une souris dans un immense labyrinthe dont personne ne sait plus s'il existe une sortie. Au fil de la lecture, on est de plus en plus attentif aux émotions que ce maelström de mots provoque. On se demande où l'auteur veut en venir. Cela part dans tous les sens, à la limite du sans-queue-ni-tête. D'ailleurs, l'homme qui parle semble avoir perdu sa tête, ne plus maîtriser totalement ses réactions, se laisse parfois emporter par ses mots. C'est presque oppressant, jusqu'à la chute finale, poignante au possible. Mais je ne vous dirai rien juste pour préserver le suspense.

En attendant, il reste que l'auteur a réussi son pari : faire que son lecteur s'interroge sur sa place dans l'immense trafic dont il n'est qu'un petit élément, un presque rien que l'on ne voit plus. Reste également la conscience de l'important travail qui est demandé à l'acteur pour interpréter un tel morceau de bravoure. Quelle gageure cela doit être pour prendre ce texte à bras le corps ? Tous les registres de jeu, d'émotions sont mis en avant. C'est assez époustouflant.

A lire pour la curiosité, la réflexion et si possible à voir sur scène.

Dédale

Du même auteur : Parfums, La petite fille de Monsieur Linh, Parle-moi d'amour,Le monde sans les enfants et autres histoires, L'enquête, Le café de l'Excelsior

Extrait :

Il prend une pause très digne et se tait. Il rompt le silence au bout de dix secondes et reprend sur un ton badin.

Vous avez remarqué le grand mensonge des minutes de silence : elles ne durent jamais une minute. Scandaleux ! On nous trompe sur les minutes de silence, comme on nous trompe sur la facturation à la seconde des téléphones portables !

De façon très rapide, il repart vers le banc, installe son paquet à côté de lui, et reprend.

Savez-vous que, lorsque j'étais au supermarché, je devenais un grand sismographe, j'enregistrais tout. Chaque vibration imprimait en moi sa ligne nerveuse. Je ne perdais rien. Ma femme faisait les courses et moi, comment dire, je portais un regard sociologique sur ce que je voyais, j'observais mes contemporains, les mouvements du groupe, les habitudes, la frénésie des achats, l'érotisme ambulant, la chasse au yaourt dont on annonçait subitement que pendant six minutes son prix était divisé par trois. Je savourais ce cinéma du vivant, cette chorégraphie des promotions, le mouvement fluide du corps des hôtesses glissant sur leurs rollers…

Il prend violemment sa bouteille, en boit les deux tiers comme un fou.

Merdureau était resté comme deux ronds de flan quand j'avais essayé de lui parler de cela. Oh, il est gentil Merdureau, mais il n'a pas inventé l'eau chaude, c'est ce qu'on pourrait appeler un parfait imbécile. Mais attention, un adorable imbécile !
C'est agréable les imbéciles. Il n'y a pas de quoi en rire. Ils sont toujours heureux. Ce sont des leçons de bonheur. Ils nous apaisent. En leur compagnie, on n'est pas obligé de penser, ni de réfléchir. Ce sont de grands trous noir dans lesquels pendant quelques heures on peut plonger et flotter avec délice. On devrait toujours avoir un imbécile avec soi. Et il devrait être remboursé par la Sécurité sociale. Je suis persuadé que si le nombre d'imbéciles au mètre carré était multiplié, ne serait-ce que par deux, les taux de suicide et de dépression diminueraient d'autant. L'imbécile donne de l'espoir. C'est sa mission sur terre. C'est d'ailleurs pour cela que dans bien des pays progressistes et démocrates nous en élisons un à la tête de l'État.


Le paquet de Philippe Claudel - Éditions Stock - 87 pages