Ce texte, paru initialement en 1895 – soit deux ans avant le Dracula de Bran Stocker – et aujourd’hui considéré outre-manche comme un grand classique de la littérature fantastique, n’a bénéficié d’une traduction française qu’en 2007.

Mister Vane, orphelin depuis son plus jeune âge, vient de finir ses études à Oxford. Avant de se lancer dans la vie active, il décide de se retirer quelques temps dans la demeure familiale et plus particulièrement dans la bibliothèque :

Cette bibliothèque, toujours prise en compte lors des modifications ou des agrandissements effectués au fil du temps dans la maison, avait absorbé une pièce après l’autre, à la façon d’un pays annexant ses voisins ; elle avait fini par occuper la quasi-intégralité du rez-de-chaussée. La salle principale était vaste et ses murs, couverts de livres presque jusqu’au plafond ; les autres pièces sur lesquelles elle empiétait, de taille et de configuration variées, communiquaient entre elles par les moyens tout aussi variés : portes, arcades, petits couloirs, escaliers pour monter ou descendre.

Depuis des années, les domestiques de la demeure disent ce lieu hanté par la figure de l’ancien bibliothécaire de Monsieur Vane père. Et en effet, après quelques après-midi plongé dans les ouvrages anciens, Vane fils aperçoit l’ombre du bibliothécaire, Mister Raven. C’est en le suivant qu’il traverse le miroir et se retrouve projeté dans un monde merveilleux et étrange. Raven et sa femme sont les gardiens du repos des morts : dans une immense pièce, ils veillent sur le sommeil de ceux qui ne sont plus et attendent le réveil à la "vraie vie".
Après avoir refusé l’hospitalité de l’étrange couple, Vane décide d’explorer cette terre inconnue. Au cours de son voyage, il rencontrera le peuple des Petites Personnes, les méchants Géants, Mara la femme-chat, des squelettes amoureusement enlacés dans une danse macabre, et la funeste ville de Bulika.
Vane est l’archétype du jeune héros perdu qui subit les événements plus qu’il ne les affronte. Pourtant Raven l’avait mis en garde : tant que Vane ne saura pas réellement qui il est, son périple sera « vain » (Vane en anglais) et il lui sera impossible de trouver le repos.

On retrouve le charme si particulier de l’écriture du XIXème siècle, empreinte d’orientalisme et de décadence. Le pays que découvre Vane est victime d’un étrange sortilège : l’eau a disparu, les femmes de Bulika sont obligées d’abandonner leurs enfants, et la princesse de la cité règne par la terreur.  Les personnages créés par George MacDonald – en particulier les Petites Personnes – sont absolument fascinants, et les descriptions des paysages hantés saisissantes. Lilith n’arrive que tard dans le récit mais elle est bien sûr la clé qui permettra à Vane de délivrer le pays.

Le début du récit n’est pas sans rappeler le célèbre Alice au pays des merveilles de Lewis Carrol, paru quelques années plus tôt : une traversée de miroir, une contrée inconnue, d’étranges habitants, des épreuves dont le héros devra sortir victorieux, le tout traversé par une écriture à la fois poétique et onirique.  Lilith a donc tout du roman initiatique et merveilleux, mais contrairement à son ami Lewis Carrol, George MacDonald destinait son roman à un public adulte.
Et en effet, la lecture de cette Lilith se révèle extrêmement dense, tant par les réflexions philosophiques qu’elle propose que par l’inter-textualité omniprésente. On retrouvera ainsi des références à Dante, Shakespeare, Novalis ou encore à la mythologie grecque. Mais la particularité de ce roman est sans aucun doute son ancrage à la religion chrétienne, somme toute logique, puisque Lilith est la première femme d’Adam. Si on ne s’étonnera donc pas de retrouver de multiples références aux textes bibliques, cette vision très manichéenne peut vite agacer. En effet, ancien pasteur, George MacDonald tente ici une métaphore du jugement dernier et du paradis éternel. Chacun des protagonistes trouve donc son alter ego dans le nouveau testament et la pauvre Lilith en est pour ses frais.
Sous la plume de George MacDonald elle perd tout son aspect subversif et sulfureux. Cantonnée au rôle d’une diablesse pleurnicheuse qui se repent à la première épreuve, dénuée de toute sensualité, elle en devient presque fade. En fait, plus on avance dans le roman plus le prosélytisme de George MacDonald devient insupportable. D’autant que les passages consacrés à Lilith, même si cette dernière est la clé de l’intrigue, sont finalement peu nombreux dans le roman.

En me plongeant dans ce roman, j’espérais retrouver tous les motifs qui ont fait du vampire féminin un mythe riche et complexe. Je n’ai malheureusement retrouvé ici qu’une pâle copie des femmes vampires de la littérature du XIXème siècle. Pour autant, ce récit reste intéressant en tant que voyage onirique et initiatique et il est à noter qu’il a fortement inspiré C.S.Lewis pour ses Chroniques de Narnia.
Si maintenant vous vous intéressez au personnage de Lilith, je vous invite à lire ma chronique du texte de Barahéni , texte sûrement plus difficile à pénétrer mais bien plus dense et riche sur cette féminité monstrueuse. Quant aux vampires féminins du XIXème siècle, si chers à mon cœur, je vous en reparlerai tout bientôt…

Laurence

Extrait :

Se pouvait-il que je fusse mort, pensai-je, sans m’en rendre compte ? Étais-je dans ce que nous avions coutume d’appeler l’au-delà ? Etais-je condamné à y errer pour y trouver ma place ? Comment pouvais-je m’y sentir chez moi ? Le corbeau m’avait dit d’accomplir quelque chose mais que pouvais-je accomplir en ce lieu ? Deviendrais-je quelqu’un en accomplissant quelque chose ? Car hélas, je n’étais encore personne.
Je suivis lentement le chemin emprunté par M. Corbeau pour retrouver sa trace. J’aperçus alors une forêt de grands pins élancés vers lesquels je dirigeai mes pas. Le parfum des arbres vint à ma rencontre et je m’empressai de m’y plonger.
J’étais enfin environné par la pénombre de la forêt, et une lueur apparut entre deux troncs d’arbre. Elle était incolore mais ressemblait au miroitement translucide de l’air chaud qui, en été, monte du sol brûlant dans l’éclat du plein midi ; elle vibrait comme les cordes d’un instrument de musique. Je me rapprochai mais cela ne m’aida en aucune façon car lorsque je l’eus rejointe, elle avait disparu ; mais la forme et la couleur des arbres à l’arrière plan paraissaient légèrement floues. Au moment où je cherchais à passer entre les deux troncs, je reçus un léger choc qui me fit trébucher et tomber. Lorsque je me relevai, je vis devant moi la cloison de bois du réduit, au grenier. Je me retournais : le miroir était là et l’aigle noir avait l’air de s’y être posé à l’instant.

Lilith
Lilith de George MacDonald - Michel Houdiard Éditeur - 356 pages