Jacques Finné et Jean Marigny ont rassemblé dans cette anthologie des nouvelles vampiriques peu connues, voire inédites, écrites au XIXème et début XXème. Quand on connaît un peu la figure littéraire du vampire, ce choix chronologique apparaît comme une évidence. En effet, si dans l'imaginaire collectif la figure du vampire est immanquablement lié au Dracula de Bram Stocker, c'est oublier qu'avant la parution de ce roman, il y avait eu à travers l'Europe, une multitude de nouvelles mettant en scène des vampires, ces derniers étant la plupart du temps féminin, et qu'avant même leur apparition dans la littérature, les femmes vampires ont toujours fait partie des mythologies fondatrices à travers le monde. Il était donc logique de leur rendre enfin hommage dans une anthologie.
Parmi les textes les plus connus de la fin du XVIIIème et du XIXème, on peut citer La fiancée de Corinthe de Goethe, La belle dame sans merci de Keats, Clarimonde de Théophile Gautier, Carmilla de Sheridan Le Fanu ou encore La vampire de Paul Féval. Mais Jacques Finné et Jean Marigny ont eu envie ici de réunir des vampires féminins moins connus du grand public.

La première nouvelle, Laisse dormir les morts de Ernst Raupach, ne m'était pas inconnue puisqu'elle avait déjà été publiée en français dans Trois saigneurs de la nuit, tome 3 ; mais je l'ai lu avec autant de plaisir que la première fois, tant l'écriture est élégante et suggestive. Walter, jeune seigneur marié en seconde noce avec la douce et blonde Swanehilde ne parvient pas à oublier sa première épouse défunte, Brunehilde. Persuadé que sa vie auprès de Brunehilde serait bien plus palpitante qu'elle ne l'est actuellement, Walter va la réveiller d'entre les morts pour le plus grand malheur des habitants du château. On retrouve déjà dans cette nouvelle, écrite en 1823, certains des motifs qui deviendront des incontournables de la figure féminine du vampire : une longue chevelure de jais, un teint d'opaline, un pouvoir hypnotique (ici matérialisé par un souffle de violette), une sensualité envoûtante et fatale, mais aussi cette ambiguïté entre les positions de victime et bourreau. En effet, si le vampire masculin est souvent un chasseur féroce et sans remords, il est intéressant de noter que le vampire féminin n'est jamais totalement coupable de ses actes : ici la pauvre Brunehilde est tout autant victime que les habitants du château puisqu'elle n'a jamais demandé à revenir d'entre les morts. Ainsi, Walter paraît bien plus à blâmer, lui qui s'est laissé emporter par le miroir déformant des souvenirs et l'égoïsme.

Je ne connaissais par contre absolument pas la deuxième nouvelle puisque traduite pour la première fois en français. Un mystère de la campagne romaine (1887) d'Anne Crawford met en scène un jeune musicien, Marcello, qui pour pouvoir composer en toute tranquillité, s'installe dans un domaine isolée non loin de Rome. Mais ses amis Martin Detaille et monsieur Sutton, s'inquiètent bientôt de ne plus avoir de ses nouvelles. Pourquoi Marcello refuse toute visite ? A quoi passe-t-il ses soirées ? Et pourquoi Martin tombe-t-il soudainement malade, victime d'hallucinations inquiétantes ? Comme dans le premier texte de cette anthologie, on se laisse d'abord séduire par l'écriture si caractéristique du XIXème siècle : élégante, mystérieuse et poétique, elle envoûte le lecteur aussi sûrement que la vampire qui hante le récit. Si cette dernière reste quasi-invisible aux yeux des narrateurs, son aura inquiétante et fatale est omniprésente mais encore une fois, elle paraît bien fragile face à la meute d'hommes qui décident de mettre fin à son règne.

Petite déception pour le choix de la troisième nouvelle, Le baiser de Judas (1893) de X.L. Ce texte paru lui aussi dans Trois saigneurs de la nuit, tome 3, ne fait décidément pas partie de mes préférés. Déjà, il y a 15 ans, je trouvais l'écriture laborieuse et l'intrigue insatisfaisante. Après relecture, je n'ai malheureusement pas changé d'avis : les phrases s'étirent sur plusieurs lignes, accumulant les propositions subornées à tel point que l'on est parfois obligé de recommencer sa lecture pour en comprendre la signification ; quant à l'intrigue, elle donne l'impression que l'auteur n'a pas réussi à choisir réellement son sujet : plusieurs pistes sont lancées, sans qu'aucune n'aboutissent pleinement. Mais surtout, il ne s'agit pas, à mon sens, d'un récit mettant en scène un vampire féminin.

La bonne Lady Ducayne (1896) de Mary Elizabeth Braddon (texte inédit) est bien plus convaincante, même si paradoxalement, il ne s'agit pas à proprement parler de vampirisme. La jeune Bella Rolleston désireuse de venir en aide à sa mère, accepte un emploi de jeune femme de compagnie auprès de la mystérieuse Lady Ducayne et suit cette dernière en Italie. Mais rapidement, Bella, si enjouée et robuste habituellement, sans ses forces décliner petit à petit… Si la vampire n'en est pas réellement une, ce texte reste néanmoins très intéressant. Le récit alterne entre narration à la troisième personne et correspondance épistolaire ; Mary Elizabeth Braddon laisse monter la tension avec habileté et le lecteur se laisse rapidement émouvoir par la candeur et la naïveté de la jeune Bella. Mais ce qui est le plus intéressant ici, est le modèle choisi pour incarner la figure féminine du vampire, très éloignée des stéréotypes : nulle femme à la beauté fatale et à la jeunesse éternelle, mais une vieille peau aussi antipathique qu'hideuse. Peut-être doit-on ce retournement de situation au fait que la nouvelle ait été écrite par une romancière, et non un romancier ? Il est en effet sans doute plus facile de se détacher de tous les fantasmes et tabous liés à la féminité (souvent à l'origine du mythe du vampire) quand on est soi-même une femme…

La dernière nouvelle, Car la vie est dans le sang… (1905) de Francis Marion Crawford était déjà parue en français dans  Les cents ans de Dracula (éditions Librio) mais comme la première nouvelle de ce présent recueil, je ai relu celle-ci avec le même ravissement. Ce récit, dont l'action se déroule elle aussi en Italie, mêle histoire d'amour, d'héritage, de meurtre et de vengeance. Et là encore, la vampire semble bien plus victime que bourreau…

J'ai pris un très grand plaisir à me plonger dans ces nouvelles fantastiques du XIXème siècle : elles ont en commun cette écriture d'une extrême élégance, une façon de suggérer plus que d'asséner, un soin tout particulier pour les descriptions et les ambiances. Et puis ces femmes vampires, souvent attachantes et désarmantes, ne cessent de me fasciner. L'introduction de Jean-Marigny m'a d'ailleurs donné envie de relire certains très beaux textes du XXème, comme Sylvana de Jean Pagel, Pauvre Sonia de Claude Seignolle, Héloïse d'Anne Hébert, La Mante au fil des jours de Christine Renard ou encore Sabella de Tanith Lee. Heureusement pour moi, tous ces romans sont bien sagement rangés dans ma bibliothèque. Il est donc fort probable que vous entendiez encore parler ici de ces femmes vampires à la beauté fatale.

Laurence

Extrait d'Un mystère de la campagne romaine d'Anne Crawford :

Comme je m'y attendais, Marcello sortit. Très pâle, il avait les mouvements mécaniques d'un automate. Je ressentis un choc en découvrant, à la lueur de la bougie qu'il portait, la terrible altération de son visage. La flamme jetait de profondes ombres sur ses joues creusées et sur ses yeux hagards qui brûlaient d'un feu sauvage et semblaient ne rien voir. Ses lèvres étaient couleur de craie et tellement ouvertes que je pouvais voir l'éclat de ses dents. La chandelle lui tomba des mains, mais il poursuivit sa marche saccadée, régulière, parmi l'obscurité des chênes. […]
Je regardais dans la même direction et vis une femme qui devait s'être dissimulée à cet endroit pendant que j'espionnais la maison. Elle quitta sa zone d'ombres, s'approcha à grands pas ; les bras tendus se refermèrent sur la taille. Elle pose le menton sur l'épaule de Marcello, et le visage sur son cou, de sorte que je ne pus rien distinguer de ses traits.

Les femmes vampires
 Les femmes vampires, Anthologie établie et traduite par Jacques Finné & Jean Marigny -  Éditions José Corti - 215 pages