Sofia Douleur - Laurent Gaudé

Laurent Gaudé explore avec cette pièce toute la difficulté pour les fillettes de devenir femmes à part entière. On leur refuse le plaisir, le droit de vivre leur corps dans un monde "obsédé". Quant aux besoins des hommes, l'auteur n'en parle pas.

Tout autour de nous, il n'y a que du sexe. […] Les kiosques à journaux nous regardent avec obscénité. Tout autour de nous, il n'y a que du sexe.

Quand les trois mères mutilent l'enfant pour la guérir de ce "diable au corps", j'ai pensé à toutes ces fillettes que l'on excise, au risque de les voir mourir et tant pis pour elles si elles vivent avec d'affreuses douleurs. Tout l'amour de la nounou qui ne comprend pas tout, n'y fait rien.

Il ne faut pas oublier le fameux diktat qui veut que les filles soient vierges à leur mariage.

Je veux être vierge pour le premier homme que je rencontrerai. C'est un beau cadeau, non ? Il faut que je tienne. Je vais tenir. Je ne suis pas une vicieuse.

Lors de ses déambulations exilée qu'elle est du palais de son enfance, Sofia rencontre d'autres hommes et femmes. Dans le monde à l'envers en autres rencontres, il y a celui qui cherche à expier d'avoir transmis une épidémie (le Sida ou une des MST) à toutes ses partenaires.

Je les ai contaminées. J'ai ça en moi. le sang noir. Infecté. Mais je jure que je ne savais pas. A chaque étreinte, je l'ai transmis. Elles criaient de plaisir, s'ouvraient, et c'était la mort qui passait.

Croisé une nouvelle fois, cet homme se dit détenteur du pouvoir de guérir par l'imposition des mains. Il est poursuivi par d'autres hommes qui lui coupent les bras. Ils sont persuadés que par ce geste il rend ceux qu'il touche stériles. S'il y a un moyen de guérir ou même de limiter la progression de la maladie, faudrait pas que cela soit possible. On ne sait jamais. Je n'ai pu m'empêcher de penser aux détracteurs de l'usage des préservatifs. Mais j'extrapole peut être.

Plus loin, Sofia croise le Roi de la chatte, un proxénète à n'en pas douter, à moins qu'il ne soit chirurgien esthétique, faisant l'article de ses filles. Il n'y a qu'à choisir dans son catalogue en fonction de l'âge, mensurations, la forme des fesses… etc. Ces filles sont toutes parfaites mais présentées par petits bouts, au client de composer la fille selon ses fantasmes. Belle société où les femmes ne doivent présenter aucun défaut. Elles doivent rester lisses, belles et ne pas penser.

Dans ce monde abracadabrant, Sofia est persuadée que cela changera. "Bientôt, vos clients, ils demanderont ça : des défauts. Parce que c'est cela qui les rendra vraies et vivantes, vos femmes." Espérons-le pour toutes les Sofia du monde.

Voilà donc une pièce pas des plus joyeuses, c'est le moins que l'on puisse dire mais qui a l'immense mérite d'être percutante, déstabilisante et d'aider à garder les yeux ouverts sur le sexe, le plaisir et sur toutes les dérives et hypocrisies à leur sujet.

Dédale

Du même auteur : Ouragan, Dans la nuit du Mozambique, La porte des enfers, Onysos le furieux, Sodome, ma douce, Cendres sur les mains, La mort du roi Tsongor, Salina, Pluie de cendres, Combats de possédés, Le soleil des Scorta, Cris, Kaboul, Médée Kali, Les oliviers du Négus, Pour seul cortège.

Extrait :

Comme le monde est triste.
Du bétail qui va à l'abattoir.
Les femmes, belles, aux seins lourds, les hommes jeunes et les enfants,
Tous, les uns après les autres,
A l'abattoir.
Et entre-temps, que font-ils ? Ils se cherchent, ils se réchauffent,
ils ont peur.
Tout va finir.
Je suis née pas voulue.
Et quand tout sera sur le point de s'achever,
Qui pourra me dire pourquoi j'ai vécu ?
Comme le monde est seul.
La peur dirige les hommes,
La peur, partout,
De déplaire,
D'échouer,
De souffrir.
La peur qui nous rend polis, puis qui nous rend méchants.
Je voudrais juste entendre le bruit du vent qui ne dit rien,
Ne demande rien,
Ne redoute rien. Le bruit du vent qui ne gémit pas,
Qui nous dépasse
Et pour qui nous ne sommes rien.
Je voudrais juste me reposer des hommes en me perdant dans le bruit du vent.