Liens de sang est un roman choral qui retrace l'histoire de l'Algérie à travers le regard de trois femmes : Djeymouna l'insoumise, Monique l'ancienne révolutionnaire communiste et Claudia, médecin urgentiste.

Aux alentours de 1830, en Algérie, Djeymouna, petite paysanne d'un douar, n'a que sept ans quand elle perd sa mère et une partie de sa famille dans un massacre perpétré par les Français colonisateurs. Quatre ans plus tard, après avoir été enfermée par sa tribu pendant plusieurs mois au fond d'une grotte, elle est promise à un vieil homme riche et violent. Mais Djeymouna va résister et trouver son salut auprès d'Ismaël, un roumi fils d'un français et d'une esclave affranchie.
Dans les années 1990, à Montpellier, Monique est en train de mourir. Entre deux somnolences, elle se souvient de son Algérie, celle des années 50, quand sur le point d'accoucher, elle fut arrêtée par l'armée française pour avoir caché chez elle un Algérien en fuite. Prisonnière politique enfermée avec d'autres françaises communistes et femmes algériennes, elle découvre la violence carcérale et la torture.
Dans la chambre d'hôpital de Monique, Claudia, sa fille, apprend qu'elles n'ont pas de liens génétiques. Mais alors qui est sa mère biologique ? D'où vient elle ? Pour percer le mystère de sa naissance, elle va rejoindre l'Algérie en pleine guerre civile.

Trois voix, trois époques pour raconter à la fois le destin singulier d'une famille et l'Histoire de l'Algérie. Si chacune des trois narratrices n'a pas réellement d'écriture distinctive, le style de Janine Teisson frappe par sa sobriété et sa fluidité. Dès les premières pages, on est littéralement emporté par les témoignages de ces femmes. Sans être jamais tomber dans un sentimentalisme facile, la romancière met en lumière le courage et la force de ses héroïnes, à la fois très différentes et si proches.
Chacun des récits est bouleversant, exemplaire ; et Janine Teisson s'interroge à travers eux sur le destin d'un peuple, la condition de la femme, le métissage et les liens du sang. Au fil des pages, les trois récits vont se percuter et se lier dans l'espoir d'un futur plus apaisé.

Jusqu'à présent, les romans que j'avais lus sur l'Algérie avaient été écrits par des Algériens (Nedjma de Kateb Yacine, Mes hommes de Malika Mokeddem ou encore Le papier l'encre et la braise de Leïla Mechentel). Mais si Janine Teisson n'a jamais vécu elle-même en Algérie, elle réussit à nous le faire oublier et à éviter tout manichéisme primaire ou stéréotype stérile. J'ai notamment découvert à travers ce récit toute la période de la colonisation du XIXème siècle que je méconnaissais. Avec beaucoup d'habileté et de sensibilité, Janine Teisson nous raconte une Algérie à l'image de ses trois narratrices : fragile et forte à la fois, faite de contradictions, de violence et d'amour.

Du même auteur : La salle de bain d'Hortense

Laurence

Extrait :

L'après-midi la vie étouffée, étouffante de l'hôpital m'oppresse. Faite de soupirs sifflant entre les dents, de souffrances tapies, de désespoirs exhalés, de naufrages, de terreurs à l'affût, d'appels au secours feutrés, de fuites, de cris soudains, d'indifférences furtives. Je vogue sur cette mer.
Je plonge dans mon silence, qui n'est pas vide, non. Je suis le réceptacle des voix perdues. J'écoute les voix en moi. Je les mène à leur paroxysme ou les laisse tarir. certaines s'imposent et m'envahissent contre ma volonté. Les unes reviennent après de années, que je croyais perdues. D'autres sont en moi depuis toujours. Voix anciennes comme celle de mon ancêtre Djeyhmouna qui tresse depuis toujours sa vie à la mienne, à moins que ce ne soit moi… Voix inconnues, voix des compagnes disparues, voix des vivants éloignés, mais jamais sa voix à lui, la voix de l'enfant bleu. Non. Il se tait.

Dénoue tes bras mon poussin, desserre tes lèvres. N'aies plus peur. Détends tes petites jambes, là, ne crains rien, ne crains rien, ouvre tes doigts.
Parle-moi. J'ai peur.

Je suis trop faible à présent pour arrêter le film de la mémoire, je n'ai plus la force d'interdire au souvenirs de revenir me blesser encore et encore.

Liens de sang
Lien de sang de Janine Teisson -  Éditions du Chèvre-feuille étoilée - 228 pages