Même si on a l’impression que la mise en place de l’intrigue, la présentation de tous les personnages, celle du contexte géopolitique est un tantinet lente, il n’en est rien. L’auteur sait qu’il faut laisser le temps au temps pour mieux vous tenir cœur et poings liés par les ressorts de son intrigue. Comme d’une toile d’araignée vous ne pourrez plus vous détacher de cette lecture même si certaines scènes, non gratuites, sont insoutenables. Vous ne pourrez plus vous éloigner des trois flics hors normes que son Ali, Dan et Brian, tous trois cabossés dans leur genre, tous trois droits dans leurs principes de justice en cette Afrique du Sud post-apartheid.
Un petit bout de l’intrigue tout de même, mais pas trop pour ne pas perdre tout le suspense qui vous tient en alerte jusqu’à la dernière ligne.
Cape Town, Afrique du Sud. Deux jeunes blanches sont assassinées après avoir été droguées par un mystérieux mélange et battues à mort. Malgré la réconciliation voulue par le charismatique Nelson Mandela, les querelles, les peurs entre noirs et blancs si enracinées dans les esprits et les corps n’arrangent pas les affaires de la police. Ali Neuman et ses deux coéquipiers Dan Fletcher et Brian Epkeen doivent aussi faire avec la violence à l’état brute presque gratuite, devenue pratiquement le mode normal d’expression des gangs, la drogue et les autres trafics, sans oublier les ravages du VIH, la corruption et l’incurie du gouvernement qui ne semble rien faire pour changer la donne. Le tout saupoudré de courage et de bonnes volontés comme Josephina font que l’on se dit que tout n’est pas perdu en ce pays. Enfin, comme en pleine tempête, on s’accroche à ce que l’on peut. Accrochez-vous, vous allez être secoués ! Assurément, vous verrez l’Afrique du Sud sous un autre jour. On est loin de la carte postale « arc-en-ciel ».
Pour la forme, c’est du noir de noir bien serré. C’est brut, violent, mais écrit comme il faut, sans volonté d’en faire trop ou d’enjoliver. De plus, on sent cette enquête étayée à fond par un travail documentaire pointu sans être écrasant. Là encore, juste ce qu’il faut pour bien comprendre le contexte où évoluent les personnages. Tout élément historique, politique a son intérêt. Il n’y a rien de superflu.
Tout est impeccable, percutant, sidérant. Un roman qui vous bouscule fort. Difficile de plonger dans autre chose par la suite.
Du même auteur : Krotokus Ier, roi des animaux
Dédale
Extrait :
La N2 reliait Cape Town à Khayelitsha, son plus gros township. Au-delà de Mitchell’s Plain, construite jadis par les métis expulsés des zones blanches, s’étendait une zone dunaire : c’est sur cette plaine de sable que le gouvernement de l’apartheid avait décidé de bâtir Khayelitsha, « nouvelle maison », modèle de l’urbanisme de contrôle à la sud-africaine : très éloignée du centre-ville.
Malgré la surpopulation chronique, Josephina refusait de s’installer ailleurs, pas même sur les sites viabilisés de Mandela Park, au sud du township, qu’on avait construit pour la classe moyenne noire émergente – sous ses sourires d’aveugle et sa bonté chronique, la mère d’Ali était une redoutable tête de mule. C’est ici qu’ils s’étaient réfugiés tous les deux, vingt ans plus tôt, dans les vieux quartiers qui formaient Khayelitsha, stricto sensu.
Josephina habitait une des core-houses de Lindela, l’axe qui traversait le township, et ne s’en plaignait pas : ils étaient souvent cinq ou six à s’entasser dans cet espace, tout au plus une chambre, une cuisine et une salle de bains exiguë qu’elle avait, l’âge aidant, consenti à agrandir. Josephina était heureuse à sa manière. Elle bénéficiait de l’eau courante, de l’électricité et, grâce à son fils, de « tout le confort dont une aveugle de soixante-dix ans pouvait rêver ». Josephina ne bougerait pas de Khayelitsha, et son colossal embonpoint n’y était pour rien.
Ali avait fini par laisser tomber. On avait besoin de son expérience (Josephina avait son diplôme d’infirmière), de ses conseils, de sa foi. L’équipe du dispensaire où elle exerçait comme bénévole faisait ce qu’elle pouvait pour soigner les malades et, quoi qu’elle en dise, Josephina n’était pas tout à fait aveugle : si elle ne voyait plus précisément les visages, elle distinguait encore les silhouettes, qu’elle appelait ses « ombres »…
Une façon de dire qu’elle quittait lentement la surface de ce monde ? Ali ne pouvait s’y résigner. Ils étaient les seuls rescapés de la famille et il n’y en aurait pas d’autres. Son tuteur avait explosé en vol. Il ne tenait qu’à sa base – sa mère.
Zulu de Caryl Férey - Éditions Folio Policier - 455 pages
Commentaires
vendredi 20 août 2010 à 09h44
Gros coup de cœur pour moi aussi ! Sans doute un des meilleurs polars de ces dernières années. Ensuite...j'ai lu "Utu" du même auteur
vendredi 20 août 2010 à 10h28
Oui, j'ai aussi beaucoup aime. Vraiment noir de noir et désespérant par moments mais une vision que je crois réaliste de ce pays complexe.
vendredi 20 août 2010 à 15h06
gros coup de coeur également... ne pas passer à côté de "utu" et de "haka"... des livres sans concessions...
vendredi 20 août 2010 à 19h25
Depuis le temps que je dis que Ferey est une des grandes révélations du polar noir de ces dernières années ! D'accord avec Mazel, mais on peut aussi ajouter les deux volumes "la jambe gauche de joe strummer et plutôt crever " mettant en scène un enquêteur bien trash et désabusé.
vendredi 20 août 2010 à 19h56
Ne vous inquiétez pas !! Les autres titres de C Férey sont déjà sur ma liste
Pas à tous lire d'un seul coup, parce que c'est du costaud mais justement à petite dose pour mieux savourer ce noir de noir.
Merci à vous tous pour vos retours
samedi 21 août 2010 à 17h57
Et bien que voilà des commentaires élogieux pour un livre que je viens juste de commencer.Je l'ai acheté en poche un peu au hasard, le 4ème de couv et le résumé de l'histoire ont orienté mon achat, et le lieu de l'intrigue également. Ca me change des pays nordiques ...
lundi 30 août 2010 à 12h34
Pareil j ai adore ce livre.
PS : a ne pas lire si on a le morale dans les chaussures ^^
lundi 30 août 2010 à 21h00
M@ryline, j'espère que ce polar te plaira autant qu'à moi.
Jules, entièrement d'accord. Sur qu'il faut être au beau fixe pour se plonger dans cette atmosphère.
jeudi 16 décembre 2010 à 21h23
J'adore avec un Grand J ! J'ai lu tous les livres de Caryl Férey et je vous souhaite à tous de le découvrir.