Dans Le Sang des femmes, Salina est une jeune fille orpheline de 15-18 ans, adopté par le clan Djimba. Elle porte sur ses frêles épaules une histoire universelle. Ce conte est offert à toutes les femmes que l’on marie contre leur avis, leur désir.
Les seuls moments de réconforts, Salina les trouve auprès de Mama Mélita. La veille femme est celle qui accueille, apaise un tant soit peu la rage, les blessures, comme la nounou pour Sofia Douleur. Mais cela ne changera rien pour Salina. Sa vengeance est simple. Elle va renier le fils qui lui est né des étreintes forcées avec Saro. Puis à l’issue d’une bataille de la ville avec des assaillants étrangers, des barbares à cheval, Salina laisse Saro mourir de ses blessures.
Quant à Kano, son aimé de toujours, il n’a jamais rien fait pour elle. Il ne s’oppose pas à son frère, ni au mariage forcé. Il ne la défend pas non plus contre les accusations portées à l’encontre de la jeune femme par un aliéné. Sur les dire de ce pilleur de morts Salina va être condamnée à l’exil. Kano se lamente mais ne fais rien.
Les traces, moi, je les cherchais. J’allais à la rivière. Je collais mon visage sur les galets où elle avait l’habitude de s’allonger. Je revoyais la beauté de ses nattes tressées, l’expression horrible de son visage le jour où elle fut jugée. Elle comme elle était belle, au milieu de ces hommes en armes, infiniment seule, mais dangereuse.
Dangereuse, oui, sera la vengeance de Salina. « Comme une putain qui a fait son office. J’ai satisfait les plaisirs du fils, on me congédie. Ils m’ont appris à saigner. Je vais leur apprendre à pleurer.» Seule dans le désert, elle va accoucher d’un enfant d’exil. « Un enfant pas né d’un père mais de sa seule colère. »
Dans La dernière vertèbre, Salina poursuit sa vie de vengeance via le bras armé de son fils, Kwane N’Krumba. Ce fils d’une mère humiliée va tuer un à un les hommes du clan détesté. A la mort de Sissoko, le chef du clan Djimba, Salina prendra toutes les vertèbres : « car un corps qui n’est pas mis en terre tout entier erre toute l’éternité à la recherche de ses morceaux ». Par cet acte, elle obligera Khaya Djimba à arpenter le désert à la recherche des restes de son époux. Un jour, les deux femmes se retrouveront. Salina offrira l’hospitalité du désert. Pendant ce temps, Kwane N’Krumba affrontera dans un combat à mort son demi-frère, Mumuyé Djimba. De force et de rage égales, les deux hommes finiront par se respecter, mais la mort aura le dernier mot.
La colère et la vengeance de Salina s’épuise peu à peu. Le don des larmes arrive le jour où elle rencontre Alika Djimba, l’épouse de Kano. Cette dernière offrira à Salina son dernier né, ce fils que le clan Djimba a refusé à Salina il y a si longtemps déjà. Alika semble être la seule à comprendre l’immense douleur, colère de Salina. Une femme à qui on a refusé la vie qu’elle désirait.
Salina est un retour au conte africain – même si rien dans le texte ne date ou localise la pièce. On y retrouve ce souffle épique, la lutte à mort entre les personnages, la soif de vengeance, les douleurs des femmes sacrifiées. Et comme dans une tragédie antique, les personnages une fois mort, reviennent sur scène et raconte la suite de la longue et douloureuse vie de Salina.
Salina est pour moi encore une merveille, l’occasion d’un portrait de femme extraordinaire.
Dédale
Du même auteur : Ouragan, Dans la nuit du Mozambique, La porte des enfers, Onysos le furieux, Sodome, ma douce, Cendres sur les mains, La mort du roi Tsongor, Sofia Douleur, Pluie de cendres, Combats de possédés, Le soleil des Scorta, Cris, Kaboul, Médée Kali, Les oliviers du Négus, Pour seul cortège.
Extrait :
SALINA. Je ne t’aime pas, Saro.
SARO. Ah non ?
SALINA. Non.
SARO. Tu préfère mon petit frère ?
SALINA. Oui.
SARO. C’est bien. Cela ma plaît que tu ne m’aimes pas. Cela me fait rire. Comme cela me fait rire que tu cries partout haut et fort que tu aimes mon frère, parce qu’il est si petit, si négligeable que cela ne peut que faire rire les hommes comme moi.
SALINA. Il est plus petit que toit, mais il grandira. J’attendrai. Je lui ai promis.
SARO. Il est si petit encore que tout ce que tu lui dis aujourd’hui, tout ce que vous vous promettez, il l’oubliera, comme il oubliera les couches qu’il porte encore. Et si un jour tu décidais de le lui rappeler, il te regarderait avec un air dégoûté, exactement comme si tu lui mettais sous le nez sa vieille merde sèche de nourrisson.
SALINA. Il a le même âge que moi, Saro.
SARO. Oui, mais il est mon cadet de tant d’années que pour moi, il aura toujours un peu de merde au cul.
SALINA. Va-t-en, Saro. Tu regretteras ce que tu es en train de dire.
SARO. Je vais partir mais je veux de dire une chose, Salina. Pour que tu puisses t’y préparer. Pour que toute ton âme ait le temps de s’en convaincre et que tu laisses mon frère jouer dans le fond des ruisseaux avec les grenouilles. Je suis l’aîné. Tu es à moi. Les choses ont été décidées. Tout le monde le sait. Tout le monde attend que tu saignes enfin parce qu’il serait inconvenant pour moi de mettre une enfant dans ma couche. Mais si je te violais ici, maintenant, il n’y aurait personne pour m’en faire le reproche. J’aurai simplement joui un peu plus tôt de ce qui m’était dû, voilà tout. Ce serait bête de ma part, et c’est pour cela que je ne le fais pas. Mais personne n’aurait l’idée de me le reprocher.
Salina de Laurent Gaudé - Éditions Actes Sud-Papiers - 102 pages
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