Alors que tous pleurent sa mort, Andy Warhol, devenu Sandy Vazhoda suite à une vaginoplastie, règle avec son fidèle assistant Julian les derniers détails de sa disparition avant de s'envoler pour l'Europe. Fatigué par la célébrité, il espère que ce nouveau départ lui ouvrira les portes d'un bonheur après lequel il n'a jamais cessé de courir. Si le monde entier semble accepter la version officielle, une femme reste convaincue que cette mort n'est qu'une mascarade : Valérie Solanas - celle qui avait déjà tenté d'assassiné Andy il y a 20 ans de cela - décide donc de traquer et retrouver son ennemi à l'autre bout du monde.

Derrière une couverture flashy et un résumé qui a l'air pour le moins farfelu, se cache en réalité un roman plus subtil qui n'y paraît sur la quête de soi et l'illusion du bonheur.
Au départ décontenancée, je ne comprenais pas très bien où l'auteur voulait emmener son lecteur : quel intérêt pouvait-il y avoir à imaginer une telle variante au décès d'Andy Warhol ? Était-ce un délire humoristique ? Et pourquoi le faire renaître sous des traits féminins ?

Si la figure d'Andy Warhol et le parcours de l'artiste restent évidemment très présents tout au long du roman, le personnage principal est bien Sandy Vahzoda, ce double littéraire créé par Philippe Lafitte ;  Sandy qui tente d'apprivoiser ce corps qui lui est étranger ; Sandy qui noie ses doutes dans l'alcool et le Diazépam ; Sandy qui pense qu'il lui suffira de fuir à travers l'Europe pour trouver toutes les réponses. Mais parcourir l'Europe d'Ouest en Est en 1987 n'est pas une mince affaire. Au cours de son périple, elle croisera Valérie Solanas, sa plus grande ennemie. Ni l'une ni l'autre ne sachant à qui elles ont réellement à faire, devront malgré elles traverser le miroir des apparences et apprendre à se re-connaître.

Étrange entreprise que celle de Philippe Lafitte : entre road-movie sur fond d'événements historiques, histoire d'amour-amitié et réflexions sur la fuite et la quête de soi, Vie d'Andy est un récit multiforme surprenant. Pensant au départ lire un roman déjanté et surréaliste, j'ai apprécié les références à l'Histoire, à cette Europe coupée en deux, mais je me suis surtout laissée séduire par le personnage de Sandy, femme fragile et emplie de paradoxes. Petit à petit, le je-masculin d'Andy laisse place au je-féminin de Sandy et il fallait beaucoup d'adresse pour ne pas tomber dans la caricature.

Laurence

Extrait :

Dans la travée centrale de l'avion un passager bedonnant referma la soute à bagages d'un geste brusque. Un peu plus loin un autre dormait déjà, laissant échapper de ses mains un livre de poche à la jaquette sombre, barrée d'un titre jaune vif, Vivre libre ou mourir. Sandy sentit sa poitrine se dilater devant cette évidence, son esprit fit tourner en boucle cette nouvelle certitude comme une litanie silencieuse et sans issue. Elle dégrafa la ceinture de sécurité, se pencha pour prendre le vanity-case logé sous ses jambes. Ses seins pressés contre ses genoux lui faisaient mal, tout son corps lui faisait mal, pressurisé de l'intérieur, et elle grimaça en se redressant, concentrée sur son souffle. Elle regarda son visage dans le miroir de la mallette. Il n'y avait rien derrière la surface des choses. Seulement la vie qui avance, se dégrade et aspire chacun à plonger un jour ou l'autre dans le néant. Elle fixa la jaquette du livre posé sur les genoux du voyageur endormi. Malgré la douleur elle sourit un peu. Elle pouvait tout envisager désormais et ce sentiment nouveau provoquait des pensées incongrues : naître tout en ayant déjà vécu ; changer de peau pour sauver la sienne ; faire disparaître l'albinos qui incarnait pour le monde entier l'éclat de la gloire artistique et le faire renaître, à l'insu de tous, en simple silhouette anonyme. Oui, c'était peut-être là l'ultime chef-d'œuvre d'Andy Warhol : tout simplement vivre.

Vies d'Andy
Vies d'Andy de Philippe Lafitte -  Éditions du Serpent à Plumes – 266 pages