Dans ce quartier d’Uptown, un peu surélevé au-dessus des méandres du fleuve, Orchid Street n’a pas été engloutie par les eaux de Katrina. Mais la vie de ce quartier n’est pas si protégée que cela. La vie va son cours, pour le meilleur et pour le pire.
À Orchid Street, il y a les Gupta, indiens fraichement arrivés, avec leur cuisine parfumée d’épices et les couleurs chatoyantes des saris d’Indira. Ariel et Ed sont venus de Minneapolis avec leurs deux enfants Miles et Ella. Les Brown, Cerise et Roy, couple un peu âgé et plein de sagesse habitent cette rue depuis longtemps. Ils sont toujours aussi amoureux l’un de l’autre.
Et puis, il y a Philomenia Beauregard de Bruges, dite Prancie, dotée d’un mari malade d’un cancer. Elle attend patiemment qu’il décède. Elle est a priori un tantinet raciste et très à cheval sur les bonnes manières. Elle est surtout trop seule et affligée d’une maladie rare que l’on découvrira peu à peu, au fil du roman. Philomenia via Prancie n’a qu’un objectif. Elle veut « épurer cette rue de tous ses éléments indésirables. » : Ed et son verre de scotch du soir sur la véranda, les Gupta et les odeurs de cuisine indienne, ou le Bernacle-bar pour ses buveurs qui viennent régulièrement vomir dans son jardin.
Et que dire de Sharon et tout sa smala d’enfants et petits-enfants dont certains comme Michael alias Muzzle et Daniel alias Fearius se mettent à trafiquer de la drogue. Leurs passages en maison de correction n’ont pas eu les effets escomptés.
Fearius, va et vient en vendant sa camelote sous la protection d’Alphonse, chef du territoire. Il a pris la relève de son frère Muzzle hospitalisé. Ce dernier a eu un accident de moto. En dérapant, l’engin a renversé le barbecue de Roy son voisin, le brûlant légèrement et plus sérieusement Cerise aux mains quand elle a voulu dégager son mari. Cet accident est l’occasion pour les voisins de faire plus ample connaissance, de s’entraider, de se trouver des confidents, de suivre les parades des quartiers de la ville lors des festivités du Mardi Gras.
Bref, une vie de quartier comme il peut en exister partout ailleurs sauf qu’Amanda Boyden nous transporte à La Nouvelle-Orléans, qu’elle connaît bien car elle y a habité longtemps. Cette ville est un personnage à part entière, avec ses spécificités géographiques, son histoire, ses ouragans. D’ailleurs, l’arrivée prochaine d’Ivan accélère un peu plus les rapprochements. Il y a ceux qui n’ont jamais vécu le passage d’un ouragan et d’autres comme Cerise ou Sharon, ont déjà connu Betsie ou Camille. Elles savent ce qu’il faut faire pour protéger les biens et les personnes.
Ariel est la nouvelle responsable de l’hôtel La Bonne Nouvelle. Elle devrait s’inquiéter de l’arrivée de l’ouragan Ivan, de protéger ses enfants. Sur ce sujet, elle se repose largement sur son mari Ed. Il s’occupe de leurs deux gamins, de la maison. Il est l’homme au foyer. Tout pourrait aller pour le mieux mais Ariel est totalement déboussolée de désir pour Javier, son sous-chef de cuisine.
Il m’a fallu un peu de temps pour m’habituer au style, à la façon qu’à l’auteur de nous livrer les pensées de ses personnages, quand ils passent du coq à l’âne. Puis ayant fait un peu plus ample connaissance avec eux, on comprend mieux leur logique et leur façon de parler. Ensuite, tout découle plus aisément.
Tous les habitants de cette rue sont un peu chamboulés, perturbés par leurs différentes relations personnelles, au sein de leur famille comme Cerise qui ne comprend pas trop sa fille Marie, dans leur couple comme pour Ariel et Ed, ou bien vis-à-vis des voisins comme pour Philomenia. Il ne faut pas oublier que les enfants sont là et qu’ils grandissent plus ou moins bien, ni les frayeurs que tout un chacun peut éprouver face aux autres. Et puis, il y a Ivan qui vient mettre son grain de tempête avant de se détourner.
Nous aimons un lieu qui ne peut être sauvé par les digues. Nous sommes des losers de génie. Mais, bien sûr, ceux d’entre nous qui vivent à Uptown, sur Orchid Street, ne le savent pas encore. Nous n’avons rendez-vous avec katrina que dans un an.
A lire pour tous ces personnages fort attachants, pour cette ville à l’histoire si mouvementée. La Nouvelle-Orléans, si multiple et pleine de vie comme Babylone.
Dédale
Extrait :
- Elle, Ariel, elle l’a trompé avec… un collègue. »
Cerise ne sait pas comment prendre cette information. La première chose qui la frappe, c’est qu’Ed, son Sauveur à elle, a été blessé par sa femme. Mais la seconde, c’est qu’Indira a été écouter de près les affaires de ses voisins. N’importe quel mariage qui dure a des hauts et des bas. C’est un fait. Cerise a toujours trouvé drôle que personne ne parle aux jeunes couples de ces moments-là. Pour le meilleur et pour le pire signifie pour le meilleur et pour le pire. Ca n’est pas une blague. Ca arrive forcément. A l’un des deux ou aux deux. Aujourd’hui, c’est au tour de Cerise d’être vieille et sage et de transmettre un peu de son savoir à cette dame naïve dans son joli sari courge. « Je suis désolée de l’apprendre, dit-elle. Ed est un brave gars, mais pour être honnête, on ne sait pas grand-chose de lui, sauf qu’il est capable de soulever un gros barbecue.
- Que voulez-vous dire ?
- Eh bien, juste que je pense qu’il faut être deux pour faire un sac de nœuds, et que j’ai moi-même aidé à en faire un ou deux. »
Indira s’arrête net. « C’est une vision incroyablement généreuse de l’infidélité. »
Cerise s’arrête aussi. « Elle est réaliste.
- Ganesh ne serait jamais infidèle. », Dit Indira.
Cette ne veut pas vraiment ouvrir les yeux. Ou peut-être que Ganesh est un saint. Ou un moine. Ou un Martien. Peut-être qu’Indira a passé trop de temps dans ses hauteurs universitaires pour apprendre la vérité sur la chair et le mariage. Cerise sait ce qu’elle est censée répondre. « Non, bien sûr », dit-elle à Indira. La dame n’est pas si jolie que ça, elle a la bouche un peu crispée. Peut-être que Ganesh est le mari le plus parfait de tous les temps, mais Cerise en doute, quoi qu’en pense Indira. Tout le monde veut avoir plus, et tout le monde devrait, comment dire… s’efforcer d’être le meilleur homme, ou la meilleure femme possible. Les erreurs font partie de ce qu’il y a de triste dans la vie, comme la mort, les mutilations et out le reste.
« Je trouve juste ça indécent, dit Indira. Ces cris, ces bris de vaisselle… »
Cerise ne sait pas comment dire à une femme qui vit dans un monde à par de regarder un peu ce qui se passe autour d’elle. Il y a toujours autre chose en dessous. La clairvoyance est le privilège ou le fléau de l’âge. On finit par découvrir que les apparences sont souvent trompeuses.
En attendant babylone de Amanda Boyden - Éditions Albin Michel - 438 pages
Commentaires
lundi 6 septembre 2010 à 18h27
Article alléchant pour un livre tentant!
Merci Dédale!
lundi 6 septembre 2010 à 22h18
Oui, j'avais repéré Amanda Boyden dans le "Matricule des Anges" de septembre qui lui consacre un article élogieux, celui de Dédale vient de me convaincre que "en attendant Babylone" est bien dans la sélection des ouvrages étrangers à retenir de cette rentrée littéraire 2010.
mardi 7 septembre 2010 à 21h07
De rien, Lili Galipette
Je vais tenter de mettre la main sur cet article du "Matricule des Anges". Merci Alice-Ange pour l'info. Contente à mon tour de t'avoir également convaincue de lire ce titre.