Cette hypothèse est le point de départ de ce roman d'utopie historique de Philip Roth. Il imagine qu'en 1940, Charles Lindbergh, aviateur célèbre pour avoir franchi en 1927 l'Atlantique et proche des milieux les plus droitiers du pays, remporte les élections. Dans la famille juive du jeune Philip Roth, cette élection est une catastrophe. Car Lindbergh est connu pour ses rapports amicaux avec le régime nazi, dont il a obtenu des mains de Goering la Croix de l'Aigle Allemand, et pour le peu de cas qu'il fait des persécutions nazies contre les juifs. La période trouble de la présidence Lindbergh sera donc vécue de l'intérieur par la famille Roth, qui vit dans le quartier juif de Newark.
Dans la famille, il y a le père, agent d'assurance qui ne supporte pas l'idée de voir Lindbergh à la présidence, et écoute et lit tout ce qui critique le Président et sa politique. Son neveu, qui partage ses idées, s'engage lui dans l'armée canadienne pour aller combattre en Europe, mais revient frustré avec une blessure qui l'a empêché de vraiment défendre ses idées. Il y a la mère, plus effacée, qui tente de sauver les apparences et ne parvient pas toujours à cacher ses peurs, mais dont la sœur Evelyn se rapproche du rabbin Bengelsdorf qui appuie la politique de Lindbergh.
Et il y a surtout les enfants. Sandy, l'aîné, pris sous son aile par la tante Evelyn qui essaie de le soustraire à sa famille, en l'envoyant notamment faire un stage dans le Kentucky. Et Philip, le plus jeune, qui saisit peu à peu les conséquences de la présidence Lindbergh, et qui essaie de défendre coûte que coûte sa collection de timbres.
Toute l'intrigue sera vécue par les yeux de Philip. Le fait de vivre les péripéties de la vie d'un jeune garçon apporte beaucoup de légèreté et d'humour à ce texte politiquement sombre. Car bien que jeune, il réalise que ce qui se joue dépasse de loin le seul cadre familial. Les repas de famille sont houleux, et les retrouvailles entre son père et son neveu se finiront même dans le sang. Il ressent également la distance que les non-juifs mettent vis à vis des juifs. Celle-ci est particulièrement sensible lorsque la famille visite Washington. Le voyage était prévu depuis longtemps, et l'arrivée de Lindbergh ne pouvait pas l'empêcher. Mais ils réalisent vite que le fait d'être juif devient un vrai handicap, et qu'on n'hésite plus à leur mentir, à les considérer comme des moins que rien pour les faire partir. Ce qui se traduit par une paranoïa croissante dans la communauté juive, qui se demande si l'exil vers le Canada est nécessaire, et qui se repose sur la mafia locale pour mettre en place des milices de protection contre les descentes de nazis américains. Roth décrit admirablement le climat de tension, de peur qui touche ce quartier de Newark, alarmé par les informations venant des villes voisines.
Ce roman est différent des autres ouvrages historiques de Roth, dans le sens où il invente une alternative à l'histoire officielle. Il conserve néanmoins les noms de tous les protagonistes de l'époque, que ce soit le vice-président Wheeler ou le journaliste opposant Winchell qui enthousiasme le quartier juif tous les dimanches soirs. Heureusement, l'auteur a ajouté une biographie des principaux protagonistes, afin que le lecteur démêle à la fin de sa lecture, la vérité historique de la fiction de Roth. Une plongée intrigante dans les États-Unis des années quarante, fiction prenant place entre le New Deal et la chasse aux sorcières de McCarthy et qui montre les angoisses des juifs américains, pleinement intégrés mais rapidement mis sur la sellette par le pouvoir en place.
Du même auteur : Un homme, Le rabaissement
Extrait :
Livré à moi-même au retour de l'école, je me mis à passer tout mon temps avec Earl Axman, mon mentor philatéliste. Et, cette fois, je ne me contentai plus de regarder sa collection à la loupe, ni l'époustouflante variété des sous-vêtements de sa mère. Mes devoirs achevés en un tournemain, ma seule tâche domestique étant de mettre le couvert, j'avais désormais tout loisir de faire des bêtises. Et puisque, apparemment, la mère d'Earl passait ses après-midi chez l'esthéticienne ou à écumer les boutiques de New York, Earl avait lui-même toute latitude pour trouver des bêtises à proposer. Il avait presque deux ans de plus que moi, et du fait que ses parents hollywoodiens étaient divorcés, ou du simple fait qu'ils étaient hollywoodiens, l'envie d'être un enfant modèle ne semblait jamais l'avoir effleuré. Ces derniers temps, de plus en plus agacé pour ma part à l'idée d'en être un, je m'étais mis à marmonner dans mon lit : "Viens, on va faire de grosses bêtises", proposition par laquelle Earl me titillait ou me décourageait quand il se lassait de ce que nous étions en train de faire.
Le complot contre l'Amérique de Philip Roth - Éditions Folio - 557 pages
Commentaires
jeudi 9 septembre 2010 à 17h30
Une large part d'autofiction alors?
Même si l'histoire me tente, j'avoue douter que la présence de Philip Roth dans le texte me plaise.
jeudi 9 septembre 2010 à 22h12
Il y a certainement une part d'autofiction, mais l'enfant s'appellerait Jacques Dupont que cela ne changerait rien au texte. Le tout, c'est qu'il soit juif. Maintenant, c'est à toi de voir
vendredi 10 septembre 2010 à 07h45
J'ai beaucoup aimé ce roman. Au delà de l'histoire du petit gars, j'ai trouvé l'alternative historique de P ROTH très crédible et parfaitement documentée... mais j'aimerais l'avis d'un historien, je ne suis qu'un profane :-P
mardi 31 janvier 2012 à 09h52
Je viens de le terminer, et j'ai beaucoup aimé cette lecture. Et le style de Roth. C'est le premier roman que je lis de lui, mais certainement pas le dernier!