Dans la famille, Marthe, Sabine et Judith sont les trois sœurs Brelan. Orphelines après la mort de leur père, elles auraient dû être confiées à leur tante Rose. Mais grâce à diverses mesures dilatoires, elles arrivent à faire se tenir le conseil de famille le jour anniversaire de Marthe, l'aîné ; le jour de ses 21 ans, celui de la majorité, qui rend inutile la mise sous tutelle par la tante. Elles conservent donc leur indépendance, et cette vie à trois, possible grâce à l'héritage qu'elles récupèrent et aux travaux qu'elles effectuent successivement, se poursuivra coûte que coûte.

Car si Grand-mère Madeleine, au petit rire permanent et à la mémoire défaillante, accepte de les aider, ce n'est pas le cas de la Tante Rose, qui garde un mauvais souvenir de ce conseil de famille où elle a été ridiculisée. Mais l'aide de Madeleine est limitée. Marthe puis Sabine trouvent bien un poste chez Cicéro, le cabinet d'architectes co-fondée par leur père, mais la menue monnaie apportée toutes les semaines par Madeleine reste anecdotique.

La vie commune des trois sœurs est pourtant loin d'être un long fleuve tranquille. Marthe, atteinte de tuberculose, sera contrainte de vivre quelques mois au sanatorium. Sabine et Judith doivent alors subvenir à leurs besoins, puisque Marthe était la seule à apporter de l'argent. Puis Sabine ira vivre un Allemagne, pour suivre un homme qu'elle a rencontré dans le cadre de son métier. Enfin, Judith, qui n'a jamais été à l'école et s'est instruite dans les essais d'architecture utopique de la bibliothèque de son père, deviendra visiteuse de prison et fera une rencontre qui va bouleverser sa vie. Et bien entendu, les événements qui surviennent à l'une d'entre elles aura des conséquences sur la vie des autres.

Leur osmose n'empêche pas ses femmes d'avoir leur vie propre. Chacune aura une histoire avec un homme, qui ne mettra jamais en danger leurs relations. Même le départ de Sabine pour Berlin, au moment de la construction du Mur, n'aura que peu d'impact sur leur vie commune. Ce qui les tient, ce sont leurs échanges, leurs expériences communes, comme ces ballades dans la voiture de leur père sur les Champs-Elysées, Le grand moment reste ce périple en voiture de Paris à Berlin, avec traversée des zones occupées dans l'Allemagne d'après-guerre.

François Vallejo se consacre ici à un type de narration qu'il n'avait que peu abordé jusque-là : la destinée d'une famille sur plusieurs décennies. Car l'air de rien, les trois héroïnes vieillissent au fil des pages. Le lecteur les suit, et se prend d'amitié pour ses femmes, de la sérieuse Sabine à la révoltée Judith. Pas de grand recours aux événements historiques comme auparavant (si ce n'est la référence à plusieurs endroits au Mur de Berlin), mais un focus sur ces personnages qu'on ne quitte jamais. Une descente au niveau de la fratrie qui fait de ce roman une belle réussite, littéraire et narrative.

Lire l'interview que François Vallejo a accordée au Biblioblog
Du même auteur : Métamorphoses, Le voyage des grands hommes, L'incendie du Chiado, Groom, Vacarme dans la salle de bal, Ouest, Madame Angeloso

Yohan

Extrait :

C'était une Renault démodée, une Monasix Luxe de 1930, rouge bordeaux. Les quatre Brelan, la grand-mère, les petites filles, faisaient claquer les six cylindres sur la nationale 12. Marthe se crispait sur le volant, surveillait, ses pieds, s'inquiétait des coups métalliques dans le moteur, Sabine indiquait les directions, conseillait les meilleures manœuvres. Judith trouvait qu'on roulait trop lentement, Grand-mère Madeleine riait pour de bon. Les arbres de la route, à chaque courbe, menaçaient de venir à leur rencontre, des hommes klaxonnaient derrière, parce qu'elles ne roulaient pas assez vite ; klaxonnaient en les dépassant quand ils s'apercevaient que quatre femmes seules étaient à bord ; klaxonnaient devant, pour leur ouvrir la route, comme des chevaliers rigolards. Ils vont attirer les gendarmes, disait Marthe, je m'arrête.
Où allons-nous déjà ? demandait Grand-mère Madeleine
Chez M. Cicéro,ne nous dis pas que tu as oublié.
Cicéro, tout ce qu'il me doit, vous allez voir.

Les sœurs Brelan
Les sœurs Brelan de François Vallejo - Éditions Viviane Hamy - 288 pages