L'ouragan Katerina arrive et attaque les côtes de la Nouvelles-Orléans. Les rares personnes qui n'ont pu être évacuées font ce qu'elles peuvent pour se protéger au mieux. Et tous sont perturbés. Les conflits sont encore plus exacerbés. La vieille Josephine Linc Steelson en a vu passer des ouragans, des tempêtes dans sa longue vie. Elle sent que celle-ci est une chienne, une affamée, une vicieuse, une méchante.
Josephine Linc. Steelson, steel pour cette femme forte comme l'acier alors qu'elle ne semble qu'une vieille négresse toute chenue. Elle parle comme l'Ernestine de Lyonel Trouillot dans Bicentenaire. « Moi, Josephine Linc Steelson, négresse depuis presque cent ans… »
Cette vieille femme magnifique représente la mémoire, la résistance des Noirs face aux tourments de la vie, le racisme, l'oubli des blancs. Ces blancs qui les ont oublié dans la tempête. Elle s'exprime avec fermeté, presque à force d'incantations, comme une vieille prêtresse à qui on ne l'a fait pas. Toute vieille qu'elle est, elle ne quittera sa ville, que si, elle l'a décidé.
Il y a aussi, Keanu Burns. A la suite du décès de son copain Pete, il a quitté son job sur une des plate-formes pétrolières au large du golfe du Mexique. Il y a six ans, il avait tout abandonné pensant faire sa vie dans le pétrole. Il a laissé là Rose Peckerbye, celle qu'il tente de retrouver avant que Katerina ne l'en empêche. Va-t-il retrouver celle qu'il n'aurait jamais dû quitter, va-t-il réussir à se retrouver, lui, dans cette ville noyée sous les eaux ?
Et puis que dire du Révérend « avec son air d'inquisiteur en campagne » qui visite à Orleans Parish prison, ces Noirs enfermés là. Ce prêtre blanc au milieu de Noirs, pleins de « crime et de luxure » est emblématique du racisme presque viscéral de cette région des États-Unis. Ce révérend dont ne connaîtra pas le nom est le religieux dans toute son fanatisme, son horreur. Il vient là tous les mardi « pour ne pas oublier le visage du mal ». Face à lui, les prisonniers laissés enfermés par les gardiens. Ces derniers se sont sauvés face à la montée des eaux. Certains prisonniers comme Buckeley vont pourvoir s'échapper et goûter à nouveau un (trop court) temps de la liberté.
En phrases longues ponctuées de virgules, passant de la narration à la première personne à celle de la troisième en fonction des personnages mis en lumière, marquant ainsi les changements de personnages, L. Gaudé nous donne à suivre cette tranche de vie de ces naufragés. L'écriture est beaucoup plus en violence que dans les précédents romans. Il utilise un rythme beaucoup plus soutenu, empressé, virulent. Le sujet s'y prête forcément, voire même s'impose. Le style est adapté aux intempéries, aux drames qui se jouent dans la ville, dans les vies de ces êtres.
Tout cela pour signifier toute la violence faite aux hommes par cette vie soit disant moderne. Vie où les êtres ne sont rien ou si peu. Les personnages sont lucides sur leur sort, leurs envies profondes. Ils en se voilent pas la face. Sauf peut être le révérend, tellement plongé dans sa religion.
Il n'y a pas de dialogues dans Ouragan. Les paroles sont fondues dans le récit, comme si elles étaient mélangées par les vents de l'ouragan. Au fil des événements, les longues phrases du début se raccourcissent. Elles deviennent parfois répétitives. On ne peut manquer de rapprocher cette écriture avec celle employée pour Cris, le premier roman de l'auteur mettant en scènes des poilus sous le déluge des obus.
Un roman qui va crescendo à mesure que la violence de Katerina se déchaine, que les dangers s'abattent sur ceux qui n'ont pu évacuer. La haine, la montée des eaux, les alligators, les pillards, l'incurie des autorités qui ont pour la plus part désertées leur poste : Ouragan nous plonge dans un décor digne de l'apocalypse.
Et comme les habitants de la Nouvelle-Orléans abandonnés aux fureurs des eaux, le lecteur est secoué à son tour par tout ce que Katerina et l'auteur toujours si plein d'humanité soulèvent comme interrogations.
C'est fort, violent, grand, superbe. A lire évidemment.
Dédale
Du même auteur : Dans la nuit du Mozambique, La porte des enfers, Onysos le furieux, Sodome, ma douce, Cendres sur les mains, La mort du roi Tsongor, Sofia Douleur, Salina, Pluie de cendres, Combat des possédés, Le soleil des Scorta, Cris, Kaboul, Médée Kali, Les oliviers du Négus,Pour seul cortège.
Extrait :
Moi, Josephine Linc. Steelson, négresse pour quelque temps encore, me voici revenue chez moi et personne ne m'en délogera. La rue est vide. Le jeune policier ne repassera pas. Il a déjà dû recevoir d'autres ordres. Qui se soucie d'une vieille folle comme moi ? Ils m'ont oubliée. Ce pays est tout entier faire comme ça. Il en a toujours été ainsi. Toute la ville a foutu le camp et ils ont laissé derrière eux les nègres qui n'ont que leurs jambes pour courir parce que ceux-là, personne n'en veut. Nous allons rester là et advienne que pourra. Je n'ai pas peur. Je la sens qui vient. C'est bien. Les hommes détalent, ils ont tort. Ils devraient rester pour voir que leurs maisons ne sont rien, que leurs villes sont fragiles, que leurs voitures se retournent sous le vent. Ils devraient rester car tout ce qu'ils ont construit va être balayé. Il n'y aura plus d'argent, plus de commerce et d'activité. Nous ne sommes pas à l'échelle de ce qui va venir. le vent va souffler et il se moque de nous, ne nous sent même pas. Les fleuves déborderont et les arbres craqueront. Une colère qui nous dépasse va venir. C'est bien. Les hommes qui restent et verront cela seront meilleurs que les autres. Nous allons tout perdre. Nous allons nous accrocher à nos pauvres vies comme des insectes à la branche mais nous serons dans la vérité nue du monde. Le vent ne nous appartient pas. Ni les bayous. Ni la force du Mississippi. Tout cela nous tolère le plus souvent, mais parfois, comme aujourd'hui, il faut faire face à la colère du monde qui éructe. La nature n'en peut plus de notre présence, de sentir qu'on la perce, la fouille et la salit sans cesse. Elle se tord et se contracte avec rage. Moi, Josephine Linc. Steelson, pauvre négresse au milieu de la tempête, je sais que la nature va parler. Je vais être minuscule, mais j'ai hâte, car il y a de la noblesse à éprouver son insignifiance, de la noblesse à savoir qu'un coup de vent peut balayer nos vies et ne rien laisser derrière nous, pas même le vague souvenir d'une petite existence.
Ouragan de Laurent Gaudé- Éditions Actes Sud - 189 pages
Commentaires
jeudi 23 septembre 2010 à 09h02
Si je partage ton avis sur l'écriture magistrale de Laurent Gaude,j'ai eu pour ma part beaucoup de mal à entrer dans ce livre d'autant que j'ai lu un livre extraordinaire à mes yeux
Le Navigateur endormi d'Abilio Estevez qui traite de ce même typhon mais sous un angle différenr :un huis clos dans une maison de La Havane avec 4 génarations de Cubains et leur passé.
Peut être ne suis- je pas ou peu sensible à l'écriture de Gaude
jeudi 23 septembre 2010 à 19h41
Moi par contre je suis sensible à l'écriture de Gaudé. Celui que je trouve le plus abouti est pour moi "la mort du roi Tsangor". Et j'ai du mal avec ses derniers livres.
Dans celui-ci j'ai retrouvé les "bons départs" que l'on retrouve aussi dans "la porte des enfers". "Ouragans" est plein de promesses : effectivement le livre s'ouvre comme un choral, avec une partition pour chaque personnage.
Sauf que.
Pour moi Laurent Gaudé est un auteur qui ne tient pas ses promesses. Voilà un livre qui part bien, avec une bonne idée, de bons personnages mais qui se perd en route. J'attendais plus d'humanité entre les personnages, des rencontres, un choeur final, quoi. Alors que le récit se met à tourner en rond, le personnage de prédicateur tourne au drame - comme on l'imagine assez vite, même si la victime n'est pas celle qu'on attend. Le personnage qui ressemble à Ernestine de Lionel Trouillot est abandonné en cours de route. Et la fin n'est pas du tout convaincante selon moi.
Je trouve que Actes Sud ne joue pas pleinement son rôle d'éditeur : il pourrait être plus exigeant avec son auteur fétiche. Certes, c'est celui qui lui a permis d'accéder au Goncourt, mais je crains que cette condition à part prive Actes Sud de la possibilité de signaler à Laurent Gaudé qu'il y aurait des éléments de son roman à travailler.
Dommage pour moi, parce qu'il s'agit toujours d'un auteur très intéressant à suivre.
jeudi 30 septembre 2010 à 12h52
J'avais adoré La mort du roi Tsongor , mais après la déception que furent les médiocres Le soleil des Scorta et Eldorado, j'avais abandonné cet auteur et le commentaire d'Alice-Ange ne m'incite pas à renouer avec !
Sans doute certains auteurs, exigeants envers eux-mêmes, méritent-ils la confiance de leur éditeur qui n'a pas vocation à être un éternel tuteur. Néanmoins, il semble que certains auteurs non débutants aient encore cruellement besoin, malgré leur talent, d'un regard extérieur exigeant ( je pense notamment à Fatou Diome dont le dernier roman aurait gagné à recevoir quelques conseils avisés de son éditeur Flammarion ...).
Malheureusement , la tendance des éditeurs est d'abandonner leur fonction critique dès lors qu'un auteur vend suffisamment...
mardi 5 octobre 2010 à 00h29
Il me semble que le petit nom donné à cet ouragan est Katrina et non Katerina. Du reste, le livre est de la fiction, et rien ne dit que c'est de cet ouragan là qu'il est question (me semble-t-il). Ce pourrait être n'importe quel ouragan passé ou à venir... ou à ne pas venir même...
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ouraga...
A part ça, assez d'accord avec ce billet. Tout à fait d'accord avec la remarque de Caminade, qui déplore le manque de critique des éditeurs. On lit des choses très perfectibles, mais parce qu'il y a un nom derrière, il semblerait qu'aucun bémol ne puisse être adressé à l'auteur. Dommage ! Beaucoup de livres qui pourraient être meilleurs, parfois par une simple suppression de quelques lourdeurs et paraphrases
dimanche 10 octobre 2010 à 11h46
Merci à vous pour vos appréciations sur ce titre et sur l'oeuvre de l'auteur. C'est bien d'avoir lu plusieurs ouvrages d'un même écrivain, cela permet de prendre du recul, de voir les évolutions, ses limites.
Noann, merci pour la précision, je corrige dans la foulée. Et effectivement, cela aurait pu être un tout autre ouragan. Il y en a eu tellement à aborder la Nouvelle Orléans. Mais j'ai lu quelque part un article ou une présentation disant qu'il s'agissait de Katrina. En fait, qu'importe. Ce n'est juste qu'un prétexte pour le romancier. Ce serait une question lui poser d'ailleurs ?
vendredi 26 novembre 2010 à 13h38
J'ai beaucoup aimé ce roman pour son écriture, sa force et son intensité.
dimanche 5 décembre 2010 à 16h02
Merci Cricri pour ce témoignage.
vendredi 17 décembre 2010 à 13h50
Lire que Le soleil des Scorta est médiocre me fait frémir. Ouragan est un excellent livre à mon avis.
Il y a des perceptions qui dépassent l'intelligence,
la culture, le succès, la vente, la promotion de l'Editeur etc... encore faut-il encore savoir aimer avec son coeur avec son âme.
samedi 1 janvier 2011 à 13h53
J'ai été complètement envahie par les différents personnages et l'Ouragan est un personnage aussi dense que les autres.
L'écriture est majestueuse, voire furieuse comme les éléments qui se déchaînent, comme les sentiments qui sont exacerbés.
Le portrait le plus attachant est celui de la vieille négresse; mais le petit Byron m'a aussi beaucoup marquée.
Ce roman est un vrai kaléidoscope,En plus la coiffure de la femme en couverture est vraiment symbolique
dimanche 2 janvier 2011 à 17h52
Ninou, ce titre comme pour d'autres illustre bien l'adage qu'en matière de goûts et de couleurs, nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne.
Merci Martine, pour ce retour de lecture.
dimanche 9 janvier 2011 à 17h02
Je viens de terminer la lecture d'Ouragan. Alors que j'avais moyennement apprécié "Le soleil des Scorta", j'ai trouvé ce roman bien construit et captivant. Ne boudant pas mon plaisir, je n'ai pu m'empêcher d'imaginer le film fort qu'un scénariste habile et un réalisateur talentueux pourraient en tirer. Le genre "choral" se prête à une adaptation cinématographique. Avec, bien sûr, sur les images de la fin, la voix déchirante d'une Bessie Smith ou Mahalia Jackson. Dédale, encore une fois d'accord avec toi.
dimanche 9 janvier 2011 à 17h09
Ahhh, Gatsby, je suis ravie... non pas que tu sois d'accord avec moi (quoique..), mais que ce roman t'ait plu
Quant à une adaptation cinématographique, je me demande si j'irai voir. Trop peur d'être déçue.
dimanche 23 janvier 2011 à 22h52
je viens de terminer la lecture d'ouragan; c'est un livre qui ne laisse pas indifférent tant au niveau des descriptions du cataclysme, très riches (on s'y croirait !) que des personnages (originaux et attachants) notamment celui de Rose avec la dimension dramatique de son histoire. J'ai beaucoup aimé ce livre et le recommande vivement !
mercredi 11 mai 2011 à 01h32
Emportée du début jusqu'à la fin. Bien sûr, les personnages correspondent tous à des archétypes. Mais ils sont magnifiques. Et quel intérêt y aurait-il à écrire l'histoire avec des héros falots et transparents ?
Et puis j'ai dans l'oreille le bruit des alligators qui envahissent la ville, en se bousculant, en s'escaladant parfois : le crissement de leurs peaux se frottant les unes aux autres.
La meilleure preuve que le style va droit au but, non ?
vendredi 17 juin 2011 à 10h24
ce roman m'a tenu en haleine du début à la fin.La psychologie des personnages est intéressante.On se fond dans l'histoire palpitante.La 'négresse'Josephine Linc Steelson est la plus attachante.La description des faits et la réaction des différents acteurs face à la catastrophe remarquables.Bon roman à lire d'un trait.
dimanche 9 septembre 2012 à 10h34
jE lis peu , trop rarement. Ce roman court , bref , puissant comme l'ouragan justment m'a captivée. Lu en version "Babel", première de couverture superbe.