Vari, lui, est éleveur de mimosas dans ce paysage, comme son auteur. Il part à la recherche de Sabèl, une jeune femme qui a disparu après la mort d’un passeur dont le décès « ouvre » le roman :

Dans la lumière étale entre oliviers et solitudes rocheuses parvint le son de la cloche du milieu. Vari compta ses voyages : trois, c’était pour un homme. Il ne parvenait pas à s’imaginer : il n’avait pas entendu dire qu’à Luvaira quelqu’un fût sur le point… Et là autour, dans les olivaies, il n’y avait personne à qui demander. Mais le soir, descendu à Luvaira, il apprit que c’était le passeur qui s’en était allé, et se rendit à sa bicoque.

À partir de là Vari va prendre la place du passeur et, à travers cette « fonction » si hautement symbolique, va nous entraîner dans une quête incertaine, ballotté au gré du vent : « Quand la brise marquait une pause, du silence recouvrait le silence. » dit le personnage principal. Et c’est dans ce silence que se résoudra peut-être la recherche de Sabèl : «  Elle a toujours aimé ceux qui vivent et meurent cachés, pensait-il ; je ne dois plus enquêter sur elle. Il y a une grandeur dans son silence. »
Désormais, Varì ne vivra que d’éphémère : une femme travaillant pour les douanes, un professeur hollandais réfugié sur ces « terres verticales » en compagnie de sa fille, des marins qui espèrent embarquer… Mais une frontière n’est pas un pays. On ne l’habite pas : on y passe.

Le vent aussi est un personnage central dans cette histoire. Le vent-larg en provençal, littéralement vent largue, qui donne son titre au roman, est un vent marin qui change souvent de direction et inquiète le navigateur.
Vari, pourtant, comme son auteur, ne varie pas dans son projet : il s’intéresse aux petits, aux sans-noms, à ceux qui ne font jamais l’actualité, ou alors par défaut, aux laissés-pour-compte qu’il conduit à travers la montagne et qui vont chercher en France une vie meilleure, ou simplement possible.
Désormais, ce sont la drogue et les armes que l’on demande à Vari de faire passer ; les fugitifs, les égarés, tous ces « gens bizarres portant au cœur trop de nœuds et de rage », sont devenus de la main-d’œuvre dont d’autres tirent un profit cynique. La violence et la mort prennent la place de cette morale implicite qui donnait à la vie du passeur son sens.
Ce sens, cette femme, Sabèl, l’incarnait, ou plutôt lui conférait son poids nécessaire par sa part de rêve. Elle aussi, tentant de fuir la ruine, a disparu.

Il errait en esprit dans sa désolation d’ex-paysan et de passeur sans travail. Était-il temps de partir ? La décadence de la campagne, la disparition de Sabèl, le gel et les périls qui flottaient autour de lui étaient-ils autant d’invitations à quitter ces quatre terrasses, à les abandonner à leur sort ?

Signalons l’excellent travail du traducteur Bernard Simeone qui a su retranscrire la beauté du style qui isole des détails révélateurs, fait miroiter des jeux de soleil et de pluie sur la Méditerranée, sans oublier le béton lépreux d’un littoral saccagé par des promoteurs immobiliers, le tout disposé ça et là dans le récit comme des à-plats de couleur.

Avec une pudeur très grande, une mélancolie constamment retenue, sans psychologie ni moralisme, Francesco Biamonti montre le lien, ou le passage, entre la figure de l’homme, son destin, et le lieu, l’espace vivant, qui les attache. Il dit ici l’éblouissement de paysages menacés et, malgré la ruine d’un monde, une promesse de douceur sur les pas d’une femme.

Alice-Ange

Extrait :

 

Il montait de nouveau à Aùrno. La raison pour laquelle il était descendu (voir Virgin pour convenir d’autres passages), il l’avait comme oubliée. Pour ça, il avait le temps. Il regardait les sentiers lointains qui l’avaient fait trembler. Les rochers pâlissaient encore sous l’air marin. Les montagnes semblaient rongées, entamées par des éclairs. Comme quand il rentrait à l’aube et que lui venaient à l’esprit les chansons qu’elle chantait :

     Où sont tous mes amants
 tous ceux qui m’aiment tant ?
 Ils sont à d’autres rendez-vous.

« Elle a toujours aimé ceux qui vivent et meurent cachés, pensait-il ; je ne dois plus enquêter sur elle. Il y a une grandeur dans son silence. »   Quelle vie y avait-il sur ces sentiers ? Aucune. Y remuaient quelques rares buissons. Mais au bord de la route, l’auriva Céleste bruissait. Elle était toujours la première à bruire. Cela peut-être lui avait valu son nom. « C’est sur sa souche que je voudrais qu’on disperse mes cendres, face aux villages perdus... Quel orgueil ! »
L’obscurité montait ; déjà, des décharges, revenaient les mouettes, qui survolaient des rochers. Enduites d’air, elles allaient à la mer encore marmoréenne comme à un lit de paix.

Vent largue
Vent largue de Francesco Biamonti - Éditions Verdier - 128 pages
Traduit de l'Italien par Bernard Simeone