Sous la plume de l'auteur portugais, Salomon est un superbe éléphant d'Asie. Il vit depuis deux ans à Belém, avec Suhbro son cornac. Un soir, le roi du Portugal João III décide de l'offrir en cadeau à l'archiduc Maximilien d'Autriche, neveu du grand Charles Quint. Au rythme de son pas lent mais constant, Salomon va, accompagné de son escorte militaire, de Lisbonne à Vienne. Il passe par la Castille, prend le bateau jusqu'à Gênes, puis c'est le frigorifique passage des Alpes avant d'arriver sur les bords du Danube.
Cette histoire n'est pas sérieuse pour deux sous mais elle est pourtant bien maitrisée, dans le déroulement du voyage, l'imbrication des digressions - grande spécialité de l'auteur - amusantes comme l'on peut en avoir lors d'un voyage que l'on trouve passablement long.
L'auteur nous donne à déguster quelques petites pointes d'ironie à l'encontre du genre humain et ses travers, les militaires à la tête vite chaude et prêts à en découdre, mais également à l'encontre de l'Église. Il n'y va parfois pas avec le dos de la cuillère quand il faut piocher dans l'irrévérence. Ne craignez pas de vous lancer dans cette histoire assez étrange. Elle est tout à fait délicieuse et fort amusante.
Même si le style employé pour conter le voyage de Salomon à travers toute l'Europe peut d'un premier abord paraître bien compliqué, je l'ai trouvé assez vite très plaisant. C'est même une excellente manière de maintenir l'attention du lecteur en alerte. J Saramago a une prédilection pour les longues phrases toutes en virgules où se mêlent en un "semblant fatras", les mots, les patronymes sans majuscule des personnages, l'absence de tirets ou de guillemets pour signifier les dialogues. Cela donne de longs paragraphes d'un seul bloc mais on ne perd pourtant pas le fil de l'histoire, ni les différentes étapes du voyage.
Pour une première découverte de l'œuvre de José Saramago, ce fut une bonne pioche. Savamment fantasque. Du bel ouvrage ! On en reprendrait bien encore.
Du même auteur : Les intermittences de la mort
Dédale
Extrait :
L'on a du mal à comprendre pourquoi l'archiduc maximilien avait décidé de faire le voyage de retour à cette période de l'année, mais l'histoire a consigné ce fait incontestable et documenté, avalisé par les historiens et confirmé par le romancier à qui il faudra pardonner certaines libertés au nom, non seulement de son droit à inventer, mais aussi de la nécessité de combler certaines lacunes afin de ne pas perdre complètement la sainte cohérence du récit. Au fond, il faut reconnaître que l'histoire n'est pas uniquement sélective, elle est aussi discriminatoire, elle ne cueille de la vie que ce qui l'intéresse en tant que matériau socialement tenu pour historique et elle dédaigne tout le reste, précisément là où pourrait peut-être résider la vraie explication des faits, des choses, de cette putain de réalité. En vérité, je vous dirai, en vérité je vous le dis, il vaut mieux être romancier, inventeur de fictions, menteur. Ou cornac, en dépit des fantaisies échevelées auxquelles, par origine ou professions, ils semblent enclins. Bien que fritz n'eût d'autre solution que de se laisser mener par soliman, force nous est de reconnaître que l'histoire instructive que nous relations ne serait pas la même si celui qui guide l'éléphant était un autre. Jusqu'à présent, fritz a été un personnage décisif à tous les moments de la relation, qu'ils soient dramatiques ou comiques, risquant de se montrer ridicule chaque fois que cela fut jugé bon pour pimenter le récit ou simplement souhaitable d'un point de vue tactique, déguisant les humiliations sans élever la voix, sans altérer l'expression de son visage, veillant à ne pas laisser transparaître que sans lui il n'y aurait eu personne pour apporter la lettre à garcia comme il advint à cuba ou conduire l'éléphant à vienne. Ces observation seront peut-être jugées inutiles par les lecteurs davantage intéressés par la dynamique du texte que par des manifestations prétendument solidaires et d'une certaine façon œcuméniques, mais fritz, ainsi qu'on l'a vu, passablement découragé à la suite des derniers événements désastreux, avait besoin que quelqu'un pose une main amie sur son épaule, et c'est exactement ce que nous avons fait, placer la main sur son épaule.
Le voyage de l'éléphant de José Saramago - Éditions Seuil - 215 pages
Traduit du portugais par Geneviève Leibrich
Commentaires
mardi 28 septembre 2010 à 21h07
Ah merci Dédale !
Enfin un billet sur SARAMAGO ! Personnellement je suis une inconditionnelle du Prix Nobel portugais.
C'est vrai qu'on a déja parlé ici des Intermittences de la mort, mais il faudrait aussi parler de "l'histoire du siège de Lisbonne" ou encore du "Dieu manchot".
Moi j'ai beaucoup aimé l'éléphant voyageur. Toujours autant d'humour, on ne s'ennuie pas un instant à suivre ce périple datant d'une époque lointaine. Et le style ! Pou rmoi il n'est pas compliqué, il est simplement superbement écrit. Merci à la traduction de nous rendre toute la saveur d'un très grand auteur européen. Et merci à Dédale de nous le faire partager.
Alors, si vous ne connaissez pas Saramago, n'hésitez pas : foncez ! Vous ne serez pas déçu de ce voyage ...
mardi 28 septembre 2010 à 21h26
Sois rassurée, Alice-Ange, j'ai bien l'intention de poursuivre ma découverte des oeuvres de cet auteur. Depuis le temps que je lui tournais autour, fallait bien que j'y succombe un jour !!


Quant à son style, je ne l'ai pas trouvé si compliqué. C'est juste qu'il venait après un autre beaucoup, beaucoup moins travaillé. Le contraste a été un peu rude au début. Ensuite, après une ou deux pages lues doucement, c'était du gâteau, un délicieux gâteau !! J'ai tout dévoré
Je note dans un coin de ma tête les titres que tu signales. On en reparlera certainement
dimanche 21 novembre 2010 à 16h10
J'ai trouvé ce livre dur à lire parfois, mais il faut cependant admirer la prouesse de captiver un lecteur malgré une mise en page rebutante.
C'est une belle histoire très humaine, où même le narrateur est humain. L'Histoire par ceux qui la font en quelque sorte.
J'ai aussi trouvé une ou deux erreurs de traduction il me semble. Par exemple l'éléphant qui "étanche" sa soif ou alors le narrateur qui irait "de conserve" avec la caravane lors de la traversée du second col.
lundi 29 novembre 2010 à 22h28
très déroutée au début de cette histoire par l'enchainement des phrases sans aucune ponctuation ou presque je me suis finalement laissée guider de Lisbonne à Vienne au pas lent de Salomon .Saramago a une écriture qui lui est propre,un ton espiègle il ne se gêne pas pour égratigner l'armée ,l'eglise et le genre humain en général.
dimanche 5 décembre 2010 à 15h53
Avec la lecture, LeTigre, il faut parfois y mettre du sien. Quant à la mise en page, on s'habitue.
Sylvaine, il est vrai que tout est fait, ou presque, pour déranger un peu. Mais au final, on en redemande.