A l'automne 1579, toute la République vénitienne craint une nouvelle épidémie de peste. Les cadavres aux signes si distinctifs se multiplient et la population superstitieuse est déjà prête à accuser juifs, prostituées et courtisanes de cet immonde fléau. Pourtant, Flora, disciple de la célèbre courtisane Veronica Franco, est intimement convaincue qu'il s'agit là d'un acte humain et non d'une punition divine.

Pour ce voyage dans l'Italie de la Renaissance, Charlotte Bousquet a choisi de nous confier aux mains de la jeune Flora, une apprentie courtisane belle et effrontée. Il faut dire qu'elle a été à bonne école puisque sa tutrice n'est autre que Veronica Franco, féministe avant l'heure et créatrice des premières maisons destinées aux femmes dans le besoin. Flora a donc, depuis sa plus tendre enfance, côtoyé les plus grands princes italiens, turcs ou français. Mais son cœur bat pour le fils naturel du sénateur Foscarini, le beau Galeazzo, qui ne semble par la voir. A défaut de s'en faire un amant, elle espère s'en faire un ami et se travestit en Orlando pour qu'il la remarque enfin. Mais les premiers cadavres vont les plonger tous les deux dans une sombre machination politique.

Charlotte Bousquet utilisant un vocabulaire idoine et documenté, le roman est accompagné d'une vingtaine de pages d'annexe pour permettre aux adolescents de mieux appréhender le récit. Si cette documentation est très intéressante et pertinente, elle se révèle difficilement consultable pendant la lecture, et à l'exception du lexique, ces « repères » sont souvent plus perturbants qu'autre chose pour les jeunes lecteurs. En effet, à l'intérieur du roman, les mots qui renvoient aux « repères » sont  perdus dans de plus ou moins longs article et il est bien difficile de savoir auquel il faut se référer. C'est d'autant plus dommage que cela pourra rebuter certains jeunes lecteurs, alors même que le roman en lui-même est vraiment réussi.

En effet, Charlotte Bousquet tout en déroulant une intrigue policière finement construite, nous permet également de découvrir cette république vénitienne du XVIème siècle, avec ses codes, sa vie politique agitée, sa hiérarchie, ses superstitions, son carnaval, etc. De la corporation des fabricants de masques à l'univers des courtisanes, en passant par la visite du quartier juif, c'est une Venise surprenante et merveilleuse qui s'offre à nos yeux. Et même si la fin semble un peu précipitée, la lecture est plaisante et instructive.

(D'autres avis, ailleurs dans la blogosphère : Emmyne, Cecile et Taly)

Laurence

Extrait :

Le jeune homme s'inclina devant son hôtesse, puis salua avec courtoisie l'assemblée. Il ignorait l'identité du plus jeune des invités, mais connaissait les autres au moins de vue. Quant au Venier, Galeazzo avait fait ses armes à son service lors de la terrible bataille de Lépante, six ans plus tôt. Il n'avait alors que dix-sept ans, mais Marco avait salué sa bravoure et sa férocité.
Enfin, il posa les yeux sur Flora. La pupille de Veronica fit une profonde révérence, offrant une vue plongeante sur son décolleté. Elle battait des cils avec un sourire mutin pour dissimuler son trouble. Venant de toute autre, cette provocation malhabile lui aurait inspiré l'agacement, voire un brin de dégoût. Galeazzo n'était pas prude mais de pareilles tentatives de séduction venaient généralement d'hétaïres illettrées ou de donzelles sans dot en mal de mariage. Il fuyait les unes et les autres avec le même empressement.
Mais Flora n'avait rien de commun avec elles et sa maladresse avait quelque chose de charmant.
- Dites-nous, cher Galeazzo, le motif de votre visite, s'enquit la Franco, s'emparant nonchalamment d'un macaron. Agnese a évoqué une matière urgente ?
- En effet, madame, répondit-il, se détournant à regret de la jeune fille. La peste menace à nouveau notre République.

Noire lagune
Noire lagune de Charlotte Bousquet - Gulf Stream Éditeur - 258 pages