Au XVIIème siècle, la dynastie Ming s'éteint tout doucement en Chine.
S'ouvre alors une ère de bouillonnement culturel, d'échanges commerciaux et de partage.
Dans cette période trouble, perdue entre les codes et les interdits de l'Ancien Régime et une liberté toute nouvelle apportée par l'Occident qui découvre l'Asie, Dao-Sheng renonce à prononcer ses vœux dans le monastère où il est en retraite et part retrouver la femme qu'il aime. Trente ans après.

François Cheng, membre de l'Académie Française, ouvre une porte sur l'Orient et nous invite à pénétrer à sa suite dans un monde étrange, cloisonné et à la fois plus ouvert qu'il n'y paraît.
Dao-Sheng raconte son histoire au gré de son voyage, alors qu'il descend dans la vallée retrouver son aimée. Ce médecin pour qui n'a suffit qu'un regard pour tomber amoureux se retrouve prisonnier de sa condition, de la société dans laquelle il vit et de l'incompréhension de ses pairs.

Auteur prolifique ayant pour thème de prédilection la Chine, son pays natal, François Cheng dépeint un monde en plein mutation avec une tendresse surprenante. Sa plume, à travers les yeux de Dao-Sheng, se fait critique mais jamais acerbe. Elle n'apporte que des faits et des constats, ceux d'une société qui se reconstruit au contact de nouveautés et qui cherche à s'affirmer dans un monde où tous les repères s'écroulent.
Comment, dans ce cas, condamner la rigidité des codes, le besoin de pérenniser les traditions, de se rattacher à ce qu'on connaît ? Dao-Sheng ne condamne pas. Il subit. Mais quand il décide de revenir pour affronter ces codes qui ont détruit sa vie, il le fait la tête haute et sans aménité.
Seul l'amour le guide. Et c'est bien l'amour que l'on retrouve à chacun des pas que nous faisons avec le narrateur, cet homme dont la vie s'est écroulée un jour et qui a passé trente ans à trouver la force de la reconstruire.

Un fabuleux roman écrit par un homme simple avec des mots simples qui parlent au cœur. Une histoire profonde et sublime qui magnifie l'homme et ses sentiments. Un livre à mettre entre toutes les mains, à lire et à relire.

Cœur de chene

Extrait :

Ce matin-là, comme prévu, Dao-Sheng descend de la montagne.
Le soleil atteint déjà la cime des arbres. Normalement, il aurait pu partir plus tôt. Au monastère, tout le monde s'était levé dès le chant du coq ; il a néanmoins tenu à effectuer certains actes quotidiens. Après le petit déjeuner, il est allé d'abord tirer de l'eau du puits et ramener deux seaux d'eau pour les verser dans la grande jarre, à côté de la cuisine. Ensuite il a coupé du bois en bordure du potager, non sans avoir rangé soigneusement les bûches sous l'abri. Pour finir il a participé à la séance matinale de prières chantées en compagnie des moines taoïstes. A la suite de plusieurs décès, ceux-ci ne sont plus que sept ; à l'exception de deux, relativement plus jeunes, les autres sont tous d'un âge certain. Qu'il ait accompli ces actes, c'est certes pour aider, mais bien plus mû par un sentiment d'attachement. Au cours de son existence, il a eu à vivre successivement, et durant de longues années, dans deux monastères taoïstes, sans être pour autant devenu un moine consacré, il n'est donc pas encore parvenu à l'état de wu-qing [ = détachement total, nda]. En partant cette fois-ci, il ignore quand il reviendra, s'il reviendra ; bien que sur ce dernier point il reste totalement discret. La raison qu'il a donnée de son voyage est qu'il comptait passer un temps du côté du chef-lieu du district. Dans sa jeunesse, il avait séjourné là-bas. Ce désir de revisiter un lieu du passé est compréhensible pour tous. Toutefois, depuis plus de trois ans qu'il vit dans ce monastère, sa présence est hautement appréciée du fait qu'il connaît la médecine : les moines malades trouvent un appui auprès de lui. Par ailleurs, il ne manque pas non plus, parmi les pèlerins, de gens qui montent ici en palanquin pour se faire soigner. Aussi détachés soient les moines, ils ne peuvent s'empêcher d'éprouver une sensation d'abandon devant ce départ ; ils formulent en secret le souhait que son absence ne soit pas trop longue.

L'éternité n'est pas de trop
L'éternité n'est pas de trop de François Cheng - Éditions du Livre de Poche - 246 pages