Pussin est admis à Bicêtre, après un passage par l'Hôtel-Dieu, pour cause d'écrouelles. Le souci avec Bicêtre, c'est que l'établissement mêle allégrement malades physiques, comme Pussin, et malades psychiques. Pussin se retrouve donc à côtoyer tous les jours ces aliénés, considérés comme des bêtes, et pour lesquels le seul traitement consiste en un enfermement au sous-sol, pieds et poings liés.
Pussin découvre peu à peu son environnement, passant de plus en plus de temps avec les aliénés, ceux dont personne ne souhaite s'occuper. Il visite tous les recoins de l'établissement, et se familiarise avec la vie passée aux cotés de ces laissés pour compte. Sa maladie va rapidement passer au second plan, car Pussin occupe ensuite à Bicêtre différents postes de direction. Il va alors en profiter pour tenter de nouvelles approches dans le traitement de la maladie. La plus osée de ces idées, c'est de laisser les fous se promener librement dans Bicêtre. Plus de fers, plus de corps décharnés couchés sur de la paille pourrie dans des loges sombres. et cette mesure, révolutionnaire, est assez mal accueillie par les autres occupants de lieu.
Puis vient la Révolution, celle qui amènera les hommes sous la guillotine. Pussin assiste aux premiers essais de l'engin, considéré comme un instrument de confort car provoquant une mort rapide. Dans cet univers bouleversé, il est épargné, ne vivant pas les soubresauts de la vie parisienne et continuant son petit bonhomme de chemin à Bicêtre. Sa vie avec Marguerite, qui partage ses idées novatrices, et avec Pinel, médecin resté dans l'histoire pour avoir libéré les fous de leurs fers au détriment de Pussin, est entièrement consacrée au traitement de la folie. Même son départ de Bicêtre pour la Salpetrière ne changera en rien ses orientations professionnelles, puisqu'il se consacre à un asile pour femmes.
Marie Didier, médecin, traite avec beaucoup de justesse et d'élégance ce personnage. Si l'ouvrage semble une biographie ordinaire consacrée à un homme oublié de l'histoire de la médecine, l'auteur a l'art d'en faire un véritable ouvrage littéraire. Pussin est autant le héros de cette histoire que les bâtiments de Bicêtre ou ses occupants. En ramenant Pussin en pleine lumière, elle n'en oublie pas pour autant les malades sur qui Pussin a pu essayer ses traitements. Agrémenté de nombreuses références qui prennent naturellement place dans le récit, l'ouvrage est vraiment une très belle réussite en matière d'écriture, et les descriptions des longs couloirs ou des loges restent forcément en mémoire. Dans la nuit de Bicêtre est vraiment un essai passionnant qui mêle habilement et sans aucune ostentation érudition, littérature et expérience personnelle de l'auteur, qui n'hésite pas à prendre place dans le récit. Voilà un ouvrage que je conseille très vivement !
Extrait :
Certains viennent te parler, soliloquer devant toi dans la cour des Fous. Tu sais toi aussi, parce que tu es malade, laisser parler, laisser pleurer pour être avec, pour comprendre. Pendant quelques instants fragiles, quelques instants miraculeux, le débit se ralentira, l'insensé baissera le bras, lui qui tout à l'heure implorait le ciel en hurlant.
Tu ne t'interroges sur rien, tu ne te demandes ni pourquoi tu agis ainsi, ni comment te juge le gardien qui n'a jamais rien vu de pareil. Peut-être même te prend-il pour un fou, tranquille certes, mais un fou. Tranquilles, sans férocité, tous le sont ici qui déambulent dans la cour. Mais tu n'as jamais vu encore les autres, ceux dont tout le monde a peur, les furieux qui croupissent plus loin dans leurs loges, enchaînés pour beaucoup d'entre eux. Leurs rugissements recouvrent par moment le tohu-bohu de la cour.
Dans la nuit de Bicêtre de Marie Didier - Éditions Gallimard - 208 pages
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