Le point commun des trois protagonistes, c'est l'Algérie, le pays dans lequel ils ont grandi et qu'ils ont décidé de fuir. Car ils ont été victimes du fanatisme religieux qui a frappé l'Algérie dans les années 90. Pour Déhia, la violence a pris une forme familiale. Jeune femme libre, poussée par ses parents qui refusent l'emprise irrationnelle de la religion et soutenue par Salim, son amant professeur à l'université, elle voit ses frères prendre une toute autre orientation. Pour eux, rien ne peut se faire sans le consentement de l'autorité religieuse, et il est inconcevable de ne pas se plier aux injonctions de cette dernière.
Adel rencontrera une violence plus sournoise, plus lâche, celle des attentats. Employé dans une entreprise, il doit se plier malgré lui aux manœuvres de corruption et de népotisme du pouvoir. Un jour comme les autres, le bâtiment où il travaille est l'objet d'un attentat. Par malchance, Besma, son amie, s'y trouvait également. C'est le début pour Adel d'une lente remontée des enfers.
Badil est le jeune frère d'Adel. Virulent, il joue avec les limites de la loi et fait assez vite connaissance de la prison. Dans sa famille, le seul sur lequel il compte, c'est Adel. Mais avec l'attentat, ce dernier ne lui consacre plus de temps ni d'énergie. Alors, quand Badil apprend que son frère est en Europe, il décide de prendre place sur une embarcation de fortune pour traverser la Méditerranée.
Par l'évocation de ces trois destins, liés par le malheur et la malchance d'être né dans un pays en proie à des violences religieuses, Yahia Belaskri dresse un portrait assez peu optimiste de l'Algérie. La violence, qu'elle soit frontale ou plus sournoise, fait toujours des victimes parmi ceux qui ont décidé de se tenir à l'écart de celle-ci. C'est en voulant échapper au dictat de la religion ou à la misère générale que chacun sera confronté à un destin tragique. Si l'intrigue du roman est foncièrement morose, l'auteur parvient à ne pas noyer le lecteur sous des torrents de larmes et de bons sentiments. En restant à distance de ses personnages, il dresse un portrait objectif de ce pays qui a été le sien et qu'il a quitté en 1988. La construction, jonglant entre le présent, avec le voyage d'Adel et Déhia en Italie, et le passé, permet d'atténuer l'aspect sinistre de l'ouvrage, car on sait d'emblée que certains vont s'en sortir. Avec une écriture empreinte de beaucoup de délicatesse et de retenue, Yahia Belaskri signe un roman émouvant et porte un regard sans concession sur son pays d'origine.
Extrait :
Elle s'en va sous la pluie, s'engouffre vite dans sa voiture.
Déhia prend l'autoroute, longe la mer. Grise, houleuse. Tout est gris, la mer et la ville. Les hommes sont gris. Les voitures roulent à toute allure, à droite, à gauche, doublent, redoublent, dépassent. Le ciel est si bas qu'il semble toucher terre. La pluie ne s'arrête pas. Ici et là des voitures immobilisées, le capot ouvert, les conducteurs à leur chevet. Déhia prend une bretelle, enjambe un pont. La route grimpe, la circulation se fait dense, les piétons apparaissent, la tête dans les épaules, les pieds dans l'eau qui déborde de partout. Les klaxons se font entendre. Les feux tricolores dansent sous la pluie, un coup vert, un coup orange puis rouge, les voitures roulent au vert, à l'orange, au rouge. Les klaxons vrillent encore. Plus haut, au carrefour des Dames, un policier règle la circulation. A droite, à gauche, devant, derrière. Il siffle, siffle encore, s'époumone, ne s'énerve pas, agite les bras dans tous les sens. Vert, orange, rouge, une flaque d'eau qui atteint les piétons, insultes humides, brèves. Il pleut. Sur la ville et ses habitants, sur les maisons et les voitures. Il pleut partout, même dans le cœur des hommes. Il pleut à n'en plus finir.
Si tu cherches la pluie, elle vient d'en haut de Yahia Belaskri - Éditions Vents d'ailleurs - 128 pages
Commentaires
mardi 12 octobre 2010 à 08h01
Yohan, je mets une option sur cet ouvrage :-))
mardi 12 octobre 2010 à 08h20
C'est un livre que j'aurai l'occasion de lire bientôt car proposé par B.O.B !
mardi 12 octobre 2010 à 09h25
Pas de souci Dédale, tu es prioritaire !
Malice, j'espère que tu aimeras cet ouvrage autant que moi !
mardi 12 octobre 2010 à 21h49
Merci Yohan
lundi 22 novembre 2010 à 21h19
J'ai dévoré cette histoire en une journée. Je suis encore sous le choc. Va falloir suivre de près cet auteur. Merci Yohan pour cette découverte.
jeudi 25 novembre 2010 à 21h32
Ahhh ! Je suis content que tu aies apprécié ce roman, car je pense qu'il est difficile à appréhender. Car derrière une maîtrise littéraire indéniable, le sujet est tout de même foncièrement triste et dur. Faut avoir le coeur un peu accroché, amis ce roman est vraiment une réussite (Florence a également lu et approuvé !)
jeudi 23 décembre 2010 à 13h54
Je viens de lire ce roman. J'avais conservé une certaine distance jusqu'a la fin, et tout d'un coup, j'ai pris la fin en pleine figure. Bouleversant.
jeudi 23 décembre 2010 à 20h05
Bienvenue au Club, Rose. Petit roman qui vaut son pesant.
lundi 27 décembre 2010 à 21h28
Je viens de finir le roman,il est facile à lire,relate une partie très dure de l'histoire toute récente de ce pays qui a été meurtri pas des années ensanglantées ainsi que cette gangrène de 'harga',injustice et précarité.Je conseille de lire.
mardi 3 janvier 2012 à 22h45
Je ne suis pas du tout de votre avis .c'est vrai que ce livre est très facile à lire. quand j'ai vu le titre et le nom du romancier je m'attendais à une belle histoire . j'ai trouvé ce livre écœurant.Bien ciblé pour rabaisser ce pays, qu'il ne nomme pas dans son livre.Qu'il n'aime pas son pays ça le regarde,mais dans ce cas pourquoi il se dit auteur du sud? Quand on a vécu dans un pays, et qu'il y a des problèmes,on essai de faire quelque chose pour améliorer la situation,on ne crache pas dessus. en tout cas quoi qu'il fasse quoi qu'il dise.Il restera un arabe, malgré lui et aux yeux des français.j'ai pas du tout aimé.
samedi 7 janvier 2012 à 18h15
Safa, je suis en complet désaccord avec votre vision du roman. Yahia Belaskri, s'il montre un visage peu glorieux de l'Algérie, le fait pour dénoncer les violences religieuses et les conditions de vie difficiles des algériens. Cela se sent notamment à travers le personnage de Badi, qui veut à tout prix quitter son pays. Le roman entre d'ailleurs en écho avec les révolutions arabes qui si elles n'ont pas eu lieu avec autant d'intensité en Algérie, ont poussé le Président à quelques concessions. Yahia Belaskri aime l'Algérie, mais on ressent ici toute sa tristesse et sa colère face à ce qu'est devenu son pays aujourd'hui.