Souvent les héros de Christian Oster empruntent la nationale 10. Et souvent ils empruntent par la même occasion des voitures, des femmes ou des vies. Celui de Sur la dune parle de s’installer à Bordeaux. Pourquoi Bordeaux ? Et bien parce que ça sonne bien, ce doit être une ville où aller, Bordeaux.

Je voulais m’installer à Bordeaux. Je n’avais pas spécialement l’intention de vivre, au sens de ce que ça implique comme énergie. Je recherchais plutôt le calme, avec un emploi du temps souple, des réveils doux, un peu de travail pour faire le liant, que je trouverais toujours, me disais-je ; s’il y a quelque chose qui ne fluctue pas chez moi ce sont bien le compétences. Et Bordeaux, à cet égard, m’avait semblé idéal.

Mais notre héros n’atterrit pas très loin de la capitale d’Aquitaine, il arrive à Saint-Girons-Plage exactement, où l’attendent de pseudo amis. Pour déblayer la porte d’entrée de leur résidence secondaire ensablée par la dune.

Mais en arrivant à Saint-Girons-Plage, pas d’amis. Qu’à cela ne tienne, comme dans tous les romans de Christian Oster, on fait avec. Il s’agit donc de s’installer à l’hôtel du village pour les attendre. Mais l’hôtel est complet. Peu importe, on fait avec. On apprend qu’un dénommé Charles Dugain-Liedgester (toujours le génie de Oster pour trouver le nom de ses personnages) a une chambre avec deux lits, qu’il ne dort plus avec sa femme, qu’il lit tard le soir et qu’il est passionné par Louis XI. Nous voilà donc dans la chambre de Charles.

Les héros de Christian Oster ne sont pas ambitieux, ils n’ont pas de plan de carrière, ils n’ont pas de plan du tout d’ailleurs. Ils sont disponibles à tout ce qui arrive. Les histoires de Christian Oster les saisissent au moment de leur vie où tout est possible : en général ils n’ont ni femme ni enfant, ni contrainte professionnelle, ils naviguent au gré des événements, sans se soucier du lendemain.
Ici dans Sur la dune, Christian Oster s’est un peu enlisé dans son récit, à l’image de cette dune qui recouvre toutes les maisons de cette région de bord d’océan. Dès qu’il perd de son humour, il perd en légèreté et ce qui était jusque là un équilibre précaire entre humour et dérision tombe par terre. Il perd alors sa légèreté si fascinante, comme dans Dans le train ou L’imprévu, qui faisait qu’on était près à le suivre n’importe où dans les tribulations de ses personnages. Là, dans Sur la dune on le suit péniblement, comme ralentis dans notre course par des chaussures aux semelles de plomb, dans cet exercice sur le thème du couple à trois.

Le texte s’allège enfin quand le trio (notre héros, le passionné de Charles XI et sa femme Ingrid avec qui il fait chambre à part) prend la route pour la Beauce pour aller assister à l’enterrement du mari d’une amie du couple Dugain-Liedgester, Brigitte Vecten. Il s’envole même à partir de la page 171 – tenez bon jusque là – au moment du récit de la cérémonie.
Pour des raisons obscures, Brigitte Vecten quitte précipitamment les lieux dès le cercueil descendu dans la fosse, les Dugain-Liedgester sur les talons pour ne pas laisser seule faire des bêtises. Commence alors un récit surréaliste, où notre héros se trouve aussitôt à la tête d’un cortège de gens qu’il ne connaît pas le moins du monde, mais qu’il reçoit dans la résidence des Dugain-Liedgester en lieu et place de la veuve.

Tout le talent de Christian Oster se retrouve là, avec ses situations cocasses, avec des agissements dictés par la bonne éducation qui provoque une réalité burlesque, parfois ubuesque. Heureusement, il y a Ingrid, une Ingrid qu’il nous détaille d’une manière qui n’appartient qu’à lui :

sa beauté demeurait comme en attente d’une preuve que je me trouvais bien en peine d’apporter.

Ce sur quoi il faut insister c’est qu’avec des situations des plus cocasses, Christian Oster sait nous embobiner : son écriture vous saisit avec des précisions parfaitement inutiles au récit, des digressions telles qu’elles peuvent tous nous saisir en pensée, et des idées tellement saugrenues qu’elles nous ressemblent. Son style passe de longues phrases – ses réflexions sinueuses qui traduisent aussi l’ensablement des relations de couples – à des séquences très courtes. Christian Oster a ce talent, dans la veine du Nouveau Roman, de mettre en beauté la banalité des détails infimes de la vie et de leur donner de la profondeur.

En résumé une histoire abracadabrantesque dite avec le pouvoir du mot juste, de la phrase précieusement pesée, et le réconfort de la langue parfaite qui est la seule chose qui peut rester à celui qui a tout perdu. Notre héros aura tout perdu, aura eu peur de perdre son temps, mais seule la belle Ingrid peut le sauver, elle qui marche enfin vers lui d’un pas décidé. Tous les  espoirs nous sont finalement permis.

Alice-Ange

Du même auteur : En ville

Extrait :

Brigitte, en tout cas, venait de quitter son mari. Un peu tard, certainement. Un peu trop tard, certainement. Un peu trop tôt, bien sûr. Ou elle n’avait pas voulu le voir partir. Les Dugain n’avaient pas osé la laisser seule, donc. Ils avaient abandonné en revanche Jean-Marc Vecten. En attendant, j’étais là. L’officiant prélevait des roses sur une couronne qu’on avait déposée près de la fosse. Nous les tendait. Nous défilions maintenant devant Jean-Marc Vecten, nous délivrant, l’un après l’autre, de nos roses dans une sorte de lâché jeté, avec des variantes selon les personnes, certaines observant la chute de la fleur jusqu’à son terme, d’autres conservant le regard droit, tout un chacun s’effaçant, ensuite, vers un côté de la fosse pour reformer un groupe qui se figeait dans l’attente. J’avais moi-même lancé ma rose d’un geste égal, quoique concentré, en me penchant un peu pour voir. Quand nous fûmes au complet sur le côté, l’officiant déclara qu’on pouvait s’arrêter près de l’entrée du cimetière, où les registres se trouvaient disposés sur des tréteaux, pour y écrire quelques mots à l’intention du défunt et de sa famille. Il signala, également, que la cérémonie était close. Quelques personnes vinrent trouver les parents de Jean-Marc Vecten, qui, l’air perdus, semblaient ne rien comprendre à ce qui venait de se passer, comme si la mort de leur fils, maladroitement pleurée en l’absence de la veuve, se couvrait d’une opacité supplémentaire, voire était remise en cause en quelque étrange façon qui échappait à l’entendement. L’humiliation, en outre, se lisait sur leurs visages stupides.
Je décidai de leur signifier qu’ils ne devaient pas partir comme ça.

Sur la dune
Sur la dune de Christian Oster - Éditions de Minuit - 192 pages